lundi 12 mars 2012

Tibet, 11 mars 2012 : Témoignage des atrocités commises à Lhasa il y a 53 ans

Tibet, 11 mars 2012 : Témoignage des atrocités commises à Lhassa il y a 53 ans

Le vieil homme qui voulait “parler avant de mourir”
Thakgyam est un Tibétain de 77 ans. Il raconte la terreur qui s'est abattue en 1958 sur sa communauté, avant même l'exil du dalaï-lama vers l'Inde. Voici le récit des atrocités menées par l'Armée populaire de libération chinoise contre la résistance tibétaine. Un témoignage inédit*. Note : * La famille de Thakgyam, qui a communiqué son témoignage écrit en tibétain à Courrier international, a souhaité que son nom soit cité : "Nous vivons une période critique pour le Tibet. Nous ne sommes pas à une époque où il faut cacher des choses." Ce récit a d'abord été offert par Thakgyam au dalaï-lama. Je suis un vieil homme témoin de la véritable histoire des mauvais traitements et des tortures infinies qu'ont subis des personnes proches et innocentes. J'ai moi-même connu ces malheurs et j'ai véritablement fait l'expérience de douleurs impensables pour l'esprit humain. Aussi ai-je le sentiment d'être comme un survivant de l'Histoire qui concerne les Tibétains de l'exil, les Tibétains, les personnes de ma région surtout, et plus particulièrement encore, de toutes les personnes de l'Amdo [l'une des trois régions du Tibet historique, avec l'U-Tsang et le Kham]. [...] Quand les soldats chinois sont arrivés dans notre communauté à l'été 1958, j'avais 23 ans. Je me souviens que les gens du coin racontaient qu'ils étaient arrivés une nuit en traversant le Machu [le fleuve Jaune]. Tous les hommes de notre communauté se sont répartis en trois bataillons pour empêcher l'avancée de ces soldats. [...] Notre chef nous a dit : "Aujourd'hui, nous allons nous battre pour le bien du Tibet, pays des Neiges." [...] Nous sommes tous entrés dans la bataille. Mais, en quelques minutes, 98 hommes et chevaux de notre village ont été tués. [...] Ceux qui avaient été faits prisonniers ont été envoyés à Tsö Sertri Nangchen [résidence d'un grand lama, confisquée et transformée en prison]. Les soldats chinois nous ont interrogés : "Comment comptez-vous tuer les Chinois ?" tout en torturant et en massacrant les prisonniers, comme si c'était simplement des jouets, sans distinguer entre les coupables et les innocents [ceux qui avaient participé aux combats ou non]. C'était insupportable à voir et il m'est encore difficile d'en parler. Par exemple, les membres des prisonniers étaient attachés avec une corde et les soldats les jetaient encore et encore au sol. Beaucoup ont eu le foie explosé, la tête éclatée, etc. Innombrables sont ceux qui sont morts sur le champ ou sont restés handicapés. C'était alors l'hiver. Certes, de très nombreux prisonniers tibétains avaient été tués après avoir été battus, mais plus encore moururent de faim. Nous qui occupions une même cellule, nous discutions le soir et, le lendemain matin, au réveil, on découvrait que beaucoup étaient morts. Mais nous ne pouvions pas enterrer les dépouilles des prisonniers car ils étaient collés au sol gelé. Rien que pour ma communauté, 40 personnes sont mortes. [...] Puis on nous a emmenés, nous les prisonniers, au district de Mating Xian. Nous avons tenté de nous évader alors que nous travaillions sur une voie ferrée. Mais nous avons été capturés par des militaires. Alors, chacun de nous a été frappé par trois militaires d'une manière que je ne saurais pas décrire. Par exemple, une fois, ils m'ont forcé à entourer de mes bras le tuyau en fer d'un poêle. Ils ont avivé le feu et l'ont laissé flamber jusqu'à ce que mes vêtements brûlent. Ma sueur coulait jusqu'au sol et ma poitrine est devenue rouge très sombre. Et, une autre fois encore, ils ont fait tremper une corde dans l'eau et m'ont attaché les mains dans le dos en serrant et ont tiré mes bras vers le haut jusqu'à ce qu'ils touchent l'arrière de ma tête. C'est à partir de cette époque que je n'ai plus pu bouger les bras. Je devais manger comme un chien. Il fallait que je tire sur mes vêtements avec les dents pour les enfiler. Mais on m'a quand même mis au travail forcé. Les gens comme nous étaient pointés du doigt, on nous accusait sans répit d'être des ennemis de classe, des cailloux protubérants sur une route, des gens mauvais qu'il fallait purifier complètement. [...] En 1959, on nous a libérés de prison. [...] De façon générale, dans le "monde ancien" [avant la "libération" par l'armée chinoise], ma famille n'appartenait nullement à une classe sociale élevée et possédante. Je n'avais jamais commis de crimes comme tuer des gens ou autres. Cela ne les a pas empêchés de m'arrêter, de me frapper sans retenue au faux prétexte de crimes que je n'avais pas commis. Par la suite, quand ils ont énuméré mes "crimes", ils ont dit que j'avais combattu en 1958, que j'avais été arrêté, que je m'étais enfui de prison, que j'avais de nouveau été emprisonné et que je m'étais encore échappé. Puis, ils nous ont condamnés et nous ont incarcérés. [...] Beaucoup de temps s'est écoulé pour que le tribunal statue, parce que je m'étais échappé et on m'avait arrêté à plusieurs reprises. Le verdict est tombé : dix-huit ans de prison. J'ai effectué ma peine. Je n'avais commis aucun crime et pourtant, ils m'ont dit : "Tu n'aimes pas le Parti communiste". Ils ont donc considéré comme un crime mon opinion envers le Parti communiste. [...] En résumé, moi et de nombreuses personnes de mon pays natal avons été accusés à tort. On nous a accusés de fautes que nous n'avions pas commises, on nous a massacrés, jetés en prison, frappés d'une manière inconcevable. Les communistes nous ont fait souffrir et torturés sans retenue, ils nous ont terrorisés. Non seulement les hommes de notre côté du Machu ont tous disparu, mais les femmes et les enfants qui ne sont pas morts de façon naturelle sont aussi légion. Par exemple, poussés par les tirs des soldats vers le Machu, beaucoup y ont sauté. De nombreuses femmes, deux ou trois de leurs enfants dans les bras, se sont jetées dans les flots. Une fois, une femme a caché son enfant au bord du fleuve, au pied d'un arbre, avant de sauter dans l'eau. Comme il n'y a eu personne pour s'occuper de lui, quelque temps après, on a retrouvé la dépouille du petit enfant. On a aussi dit à ma mère qu'elle était d'une famille qui n'aimait pas le communisme et elle a subi des séances d'accusation publiques. [...] Voici l'essentiel de ce que l'humble homme que je suis, a à vous demander : puissent les morts qui ont perdu leur vie pour le bouddhisme et pour le Tibet renaître sur la terre de conversion de Pakchok Tchakna Pema [la terre placée sous la protection du bodhisattva Avalokiteshvara, dont le dalaï-lama est l'émanation, comprendre "renaître au Tibet"]. Puissent-ils obtenir rapidement les dix-huit conditions pour renaître comme êtres humains qui ont accès au dharma ["mode de vie"] et puissent-ils obtenir le parfait Eveil incomparable. Puissions-nous, par le récit des souffrances indicibles que vivants et morts ont subies, purifier les empreintes du karma négatif de tous les Tibétains. Puissent ces récits être bénéfiques à la doctrine du Bouddha et au bonheur de notre pays. Et surtout, puisse le Suprême vainqueur, Joyau qui exauce les souhaits [le dalaï-lama], vivre longtemps et qu'adviennent rapidement les temps heureux où les Tibétains de l'exil et du Tibet seront réunis.

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