mardi 24 mars 2009

La camisole de force imposée au Tibet

"LA CAMISOLE DE FORCE IMPOSEE AU TIBET "

par Claude B.Levenson, newsletter mars 2009 Cinquante ans, un demi-siècle – combien de jours, combien de nuits à compter les longues heures de l’exil ? Et jusqu’à quand ? La mobilisation des groupes de sympathisants a permis d’allumer des flammèches d’espoir à travers la planète, démontrant opportunément que le Tibet meurtri et bâillonné n’est pas, ne sera pas oublié. Au grand dam des autorités de Pékin, la bannière aux lions des neiges a flotté haut sous des cieux divers, au fronton des mairies, à des fenêtres individuelles, au-dessus des têtes des manifestants, et ce, malgré les avertissements lancés sans retenue ni diplomatie par les porte-voix du gouvernement chinois. Faut-il que les actuels locataires de la Cité interdite aient peur – de qui ? de quoi ? – pour en arriver à ce point-là ! En tout cas, force est de constater que c’est indubitablement une réaction de crainte que tente – si mal – de masquer le déploiement de forces militaire aussi bien dans la Région dite autonome que dans les districts historiques tibétains. Le territoire tibétain dans son ensemble est hermétiquement interdit aux étrangers – journalistes en particulier, spécialistes, experts de l’ONU ou voyageur, touriste curieux des réalités locales. Quelques téméraires se sont risqués à manifester en solitaire ou en mini-groupes, aussitôt embastillés sans ménagement. Aucun étranger, ou si peu, pour dire, témoigner, hurler à la mort face à l’épouvantable indifférence. Effet de la « grande muraille contre le séparatisme » appelée de ses vœux par l’actuel président chinois, naguère surnommé « le boucher de Lhassa » pour avoir gagné ses galons au sein du parti communiste en vertu de l’implacable répression des protestations de 1988/1989 ? Aurait-il oublié, curieuse étourderie, que la fameuse muraille visait à protéger l’empire des « barbares » et à prévenir les raids des « bandits mongols et tibétains » ? Juste pour rappel – la construction avait commencé avant l’ère actuelle, et sa forme d’aujourd’hui date du XVIIe s. Preuve, s’il en était besoin, que le Tibet ne fait pas partie de la Chine « depuis des temps reculés » et que cette Région dite autonome n’est en fait qu’un pays occupé… A la mi-mars, à Lhassa, les forces de l’ordre chinois ont opéré des perquisitions systématiques dans le quartier tibétain à la recherche « d’individus suspects », tandis que les lignes téléphoniques et les serveurs de la toile ont été coupés. Outre les Occidentaux, des Chinois de Taiwan, Hong Kong et Macau, ainsi que des Tibétains non résidant sur place se sont retrouvés strictement bannis de force des lieux. Des monastères, inutile d’en parler : ils sont si bien gardés que personne, ni moine ni nonne ni laïc, n’en sort ni n’y entre. Et la propagande de continuer à claironner que « c’est la faute au dalaï et à sa clique… » Ce qui n’empêche pas les responsables chinois de choisir ce moment pour annoncer leur plan de « transformation moderne » de Lhassa (pourtant déjà méconnaissable tellement enchinoisée), alors qu’une certaine Mme Wang, directrice de la société des eaux 5100 du Tibet, située dans le district de Dangxiong, se vante de vouloir y créer une Evian-les-Bains … chinoise. Et la bonne dame de préciser que son entreprise est sise près du Nam-tso (le lac du ciel), comme « Evian-les-Bains est une petite ville française avec sa source au pied des Alpes, qui s’est transformée en un lieu et une marque célèbres. Il s’agit d’un exemple tout à fait encourageant pour les habitants de Tangxiong (double orthographe dans la dépêche de Xinhua) comme modèle économique phare du nord du Tibet. » Voilà qui devrait faire plaisir aux habitants des deux rives, française et suisse, du lac Léman… Autre facette de l’exemplarité française, cette déclaration du 13 mars du porte-parole du Quai d’Orsay, répondant à une question lors d’un point de presse coutumier : « Nous ne sommes pas favorables à une indépendance du Tibet. Notre position est absolument inchangée et elle ne changera pas. Je vous rappelle notre soutien à l’intégrité territoriale de la Chine et notre refus des perspectives sécessionnistes ou de soutien à l’indépendance du Tibet. » Belle détermination et fidélité sans faille aux principes, ce n’est pas la position qui change, ce sont les ministres. Aux oubliettes, les droits de l’homme et le droit des peuples à l’autodétermination, y compris quelques cinglantes leçons d’histoire récente. L’actuel titulaire du poste expliquerait sans doute qu’il faut soigner la préparation des retrouvailles du G 20 à Londres début avril où les présidents français et chinois vont se croiser, sinon se rencontrer… Tandis que l’agence de presse officielle Xinhua s’insurge contre « l’amnésie et l’ignorance des eurodéputés qui s’immiscent dans les affaires tibétaines » (le Parlement européen a adopté le 12 mars à Strasbourg une nouvelle résolution sur le Tibet), une poignée de lauréats du prix Nobel de la paix, représentés par l’archevêque Desmond Tutu et suivis par diverses célébrités, demandent dans une lettre ouverte à la Haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU de se rendre au Tibet accompagnée de journalistes et autres observateurs afin d’évaluer personnellement la situation sur place en vue de présenter ensuite un rapport circonstancié à la communauté internationale. Et pendant ce temps, au Conseil des droits de l’homme précisément réuni en session ordinaire à Genève, les délégués chinois sont à l’affût et voient rouge dès que quiconque – diplomate, représentant d’un pays ou d’une ONG – ose prononcer le nom honni. Ainsi, d’après le procès-verbal de la réunion du 17 mars, Mme Yang Jirarong a « rejeté vigoureusement les accusations faites par la République tchèque au nom de l’Union européenne et par Amnesty International concernant son pays. Ces allégations sont basées sur l’ignorance et les préjugés », et de préciser que, « dans son pays, nombreuses sont les personnes qui travaillent pour le bien-être de la population et les activités des défenseurs des droits de l’homme sont protégées. » En conclusion, l’honorable déléguée a émis le vœu que « ces délégations reviendront dans le droit chemin et procèderont à davantage d’autocritique. » Un langage aux singuliers échos de révolution culturelle à curieuse résonance au Palais des Nations de l’ONU…Que l'espoir demeure ! Il n’empêche. A Prague, le prix « Homo Homini » qui couronne le combat pour les droits de l’homme a été remis par Vaclav Havel à l’avocat de Liu Xiaobo, toujours détenu, et aux signataires de la Charte 08. La mise en service des trains de luxe pour Lhassa prévue pour avril prochain a été reportée d’une année… en attendant que le climat s’améliore ? Les nouvelles générations tibétaines ont commencé à apprivoiser la modernité imposée par ceux qu’ils considèrent comme des occupants, sans renoncer pour autant à demeurer eux-mêmes. En dépit de la désolation éveillée par de récents clichés échappés des régions tibétaines en camisole de force chinoise, c’est au plus fort de la nuit qu’il faut croire à la lumière. Et celle des hauts plateaux est chevillée au corps, au cœur du Tibet. S’il faut avoir conscience que le temps presse, qu’il « est des ennemis qu’aucune volonté de conciliation ne fléchira » (comme le dit un mien ami), il ne faut pas oublier non plus que la roue tourne, qu’un grain de sable peut toujours gripper les mécanismes les mieux huilés, que tout reste possible – le pire comme le meilleur - et qu’il est un printemps pour chaque espoir. C.B.L.Newsletter mars 2009

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