mardi 15 juillet 2008

Les réflexions de Claude B . Levenson sur la situation actuelle

Les réflexions de Claude B . Levenson sur la situation actuelle Newsletter juillet 2008 mailto: claude.levenson@gmail.com AU-DELA DES JEUX CHINOIS, LA FLAMME TIBETAINE Le compte à rebours s'accélère et quoi qu'en disent les autorités chinoises, le Tibet demeure globalement inaccessible. La réouverture aux voyageurs étrangers? Certes, c'est décrété après le passage sous très haute surveillance d'une torche olympique étroitement surveillée, mais dans la pratique, c'est une autre histoire: toujours le fameux permis spécial consenti à la discrétion des responsables du tourisme local. Et en groupe de préférence, sous la houlette d'un guide dûment patenté. Les voyagistes n'en sont pas convaincus. Liberté des journalistes de s'y rendre à volonté pour flâner au gré de l'humeur et se fier aux occasions de rencontres pour se faire une opinion? Vous voulez rire sans doute, circulez, il n'y a rien à voir - le spectacle, c'est à Pékin qu'il se déroule sous bonne garde, et pas dans les monastères encerclés par les forces de l'ordre chinois ou vidés des moines renvoyés d'autorité dans leurs foyers, quand ce n'est pas directement derrière les barreaux, des fois qu'il leur viendrait à l'idée d'exprimer tout haut ce qu'ils pensent au plus profond d'eux-mêmes, contrairement aux affirmations péremptoires des officiels du régime. Même les nomades de Lithang sont privés cette année de leur grande fête annuelle, châtiés sans doute pour avoir manifesté pacifiquement leur volonté de vivre libres et de revoir leur guide spirituel exilé. Quant aux discussions reprises avec des représentants "privés" du Dalaï-Lama, il faut décidément être un dirigeant politique soit bien naïf soit bien hypocrite pour feindre d'y croire et d'en tirer prétexte pour courir assister à la cérémonie d'ouverture des JO, c'est-à-dire au sacre mondial d'une dictature sûre d'elle et de son bon droit d'imposer sa loi à qui bon lui semble, y compris en se mêlant outrageusement des affaires d'autrui en dictant à des dirigeants étrangers la conduite qu'ils devraient tenir afin de lui plaire. Les promesses de mieux respecter les droits de l'homme, merci, très peu pour les autocrates de la Cité interdite, que ce soit les droits des démocrates chinois qui essaient de défendre ceux des Chinois, ouvriers, paysans ou pétitionnaires les plus démunis, ou des Tibétains bafoués dans leur altérité et qui réclament juste le droit de rester ce qu'ils sont. Oser accuser "la clique du dalaï" d'être responsable des manifestations tibétaines et exiger du lauréat du prix Nobel de la paix qu'il fasse cesser des protestations qui sont simplement l'expression du ras-le-bol d'un peuple occupé, c'est travestir la réalité. Et en même temps, reconnaître implicitement la fragilité de la légitimité de la mainmise chinoise sur le Tibet: la répression est toujours aveu de faiblesse du colonisateur, c'est ce qu'enseigne à tous les coups l'expérience historique de tous les régimes qui ont fini par se casser les dents sur la revendication identitaire de tout peuple opprimé. Otage depuis 4800 jours... "Comprendre" l'attitude des politiciens occidentaux qui se voilent la face pour se précipiter à Pékin - le président du Parlement européen, contrairement au président de l'Union européenne, a refusé - n'est nullement l'excuser, c'est de la couardise ambiante dont il faut se méfier, car elle est grosse de menaces pour l'avenir de ce que l'on appelle encore la démocratie. Que d'aucuns y trouvent leur compte n'a rien d'étonnant, que plus personne - ou si peu - ne semble trouver à y redire est plus troublant. Il est sans doute plus facile de se réjouir - et c'est bien normal, cette explosion de joie partagée après des années d'angoisse et d'efforts - de la libération d'une poignée d'otages en Colombie, que de demander des nouvelles (même pas des comptes!) à d'autres preneurs d'otages comme ceux qui retiennent depuis bientôt 4800 jours (à compter de la mi-mai 1995) le jeune panchen-lama à l'époque un enfant, aujourd'hui un jeune homme majeur et dont nul ne sait ce qu'il est devenu, sauf peut-être ses ravisseurs. Dans les couloirs feutrés où se meuvent ceux que l'on qualifie de grands de ce monde, lequel aura le front de poser sur le tapis la question qui dérange? L'occulter ou la passer par pertes et profits au gré d'intérêts à court terme et mal compris ne sert à rien, elle ne disparaît pas pour autant. En la niant si farouchement, en lançant tous azimuts les foudres de la propagande et l'arsenal bien rôdé de menaces les plus diverses sous prétexte 'd'humiliation' ou de respect d'un principe à géométrie variable de non-ingérence, n'est-ce pas précisément admettre que l'épine est bel et bien là, et que la Chine a décidément toujours mal au Tibet? En tout cas, la question fait désordre à Pékin, au point de conduire ses propagandistes patentés à de curieux égarements. Peut-être savez-vous que la London Metropolitan University a conféré en mai dernier le titre de docteur honoris causa au Dalaï-lama, ce qui a bien sûr froissé des susceptibilités à la Cité interdite. D'où une nouvelle donnée le 4 juillet par le Quotidien du peuple en ligne sous le titre "LMU s'excuse pour avoir décerné un titre de docteur d'honneur (!) au dalaï-lama", affirmant que l'Université londonienne "vient de présenter officiellement ses excuses à la Chine pour avoir décerné ... etc." L'affaire cependant ne s'arrête pas là: quelques jours plus tard, la riposte du vice-recteur mis en cause est sans appel: il explique avoir rencontré à leur demande des représentants de l'ambassade chinoise à Londres et avoir exprimé des regrets "si la LMU avait fait de la peine à quiconque", en précisant que l'Université ne s'excusait ni ne s'excuserait pour avoir octroyé ce titre au leader tibétain, pas plus qu'il ne saurait être question de le lui retirer, comme le laissait croire l'agence chinoise. Voilà qui éclaire singulièrement les habitudes manipulatrices des services de propagande chinois - pardon, de publicité comme se présente dorénavant le bureau chargé de ces reluisantes besognes. Ce qui n'empêche pas le moins du monde les autorités chinoises de continuer sur une impitoyable lancée de nettoyage et de répression à l'approche de la date fatidique. Alors qu'aucune recherche ou enquête sérieuse n'a pu être menée sur place dans la Région autonome ni dans les districts tibétains touchés par la contestation, des informations de source chinois annoncent que des tribunaux sont à pied d'oeuvre et que des "émeutiers" passent en jugement, avec ce commentaire qui donne une idée de l'ambiance: 'aucune peine de mort n'a été prononcée jusqu'ici au Tibet', affirme benoîtement le 11 juillet l'agence Xinhua. La belle affaire! Est-ce l'avertissement de sentences encore plus lourdes à venir, alors qu'on ignore toujours le nombre exact de détenus, les lieux et les conditions de détention, et que les arrestations et les disparitions continuent? Dans le même temps (ce n'est pas un gag), des psychologues animaliers s'occupent activement des pandas traumatisés par le séisme au Séchouan... Souvent dans le mot "liberté", il me vient de lire aisément "Tibet", et ce n'est pas fortuit. Dans notre monde, ce lieu rare d'une infinie beauté peut s'interpréter comme une quête de liberté, et son peuple la symbolise dans le silence des grands espaces. En cela, il nous concerne tous, et sa flamme intérieure peut devenir flambeau. C.B.L.

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