Curieuse synchronicité des protestations au Tibet l’an dernier en prélude aux JO dePékin, et de l’éruption brutale au Turkestan oriental, comme en avant-propos du 60e anniversaire de la proclamation de la République populaire en Chine le 1er octobre prochain.
A un peu plus d’une année de distance dans le temps, les images retransmises par la télévision chinoise des manifestations à Urumchi prennent un étrange air de déjà vu : des voitures retournées, des magasins en feu, des victimes han de la « violence ethnique d’une minorité »(cette fois, musulmane) pourtant cajolée par les autorités, appel rapide aux forces de police et à l’armée pour rétablir l’ordre chinois (mais faisant preuve de « retenue » devant des caméras étrangères par hasard sur place en voyage organisé), victimes chinoises montrées en boucle, fauteurs de troubles immédiatement désignés du doigt comme « séparatistes de l’étranger »,des centaines d’arrestations. Un scénario qui ressemble fort à du réchauffé, exception faite de la présence inopinée de journalistes étrangers de passage : à Lhassa, tous les étrangers avaient été évacués d’urgence.
Les mêmes causes produisant des effets analogues, la surprise n’est pas aussi totale (ou prétendue telle) qu’en 2008 : soumis comme les Tibétains à une occupation militaire qu’ils considèrent eux aussi comme étrangère, les Ouïghours sont depuis longtemps sous surveillance. L’an dernier, avant les joutes sportives, plus d’un millier d’entre eux, soupçonnés de velléités sécessionnistes, avaient été arrêtés à titre préventif. A la différence des Tibétains néanmoins, d’aucuns avaient revendiqué l’explosion de divers engins rudimentaires qui avaient fait quelques victimes, sur place et ailleurs, ce qui avait suffi à faire passer les responsables pour un dangereux groupe terroriste inscrit sur la liste noire. Leurs dirigeants n’en estiment pas moins qu’ils n’ont pas d’autre choix pour faire entendre la voixde leur peuple opprimé. Les manifestations de début juillet d’abord du côté de Canton dans un quartier ouïghour, puis à Urumqi, traduisent une réelle frustration et ont de quoi inquiéter le pouvoir à Pékin.
Pourtant, la situation au Xinjiang n’a pas éveillé beaucoup d’écho jusqu’ici – faute d’avoir comme ambassadeur sur la scène internationale un personnage d’envergure comme le Dalaï-Lama, me disait il y a quelques années un ami ouïghour. Et de nous faire remarquer au passage que les pays musulmans d’ordinaire si prompts à monter au créneau pour défendre des coreligionnaires ici ou là selon eux maltraités, se montrent curieusement timorés dès lorsque se profile l’ombre de la Chine, quitte à regarder ailleurs en cherchant à détourner l’attention du foyer des troubles immédiats. Même timidité, non moins remarquable, du côté de l’ONU, où le secrétaire général à peine de retour d’une mission avortée en Birmanie (où la junte l’a roulé dans la farine) et de passage au siège européen de Genève, se contente de réitérer un appel à la réconciliation et au dialogue, en évitant soigneusement ne serait-ce que de nommer la principale intéressée, c’est-à-dire la Chine.
Et pendant ce temps, le président Hu Jintao arrivait en Italie en prévision du G8, profitant de l’occasion pour aller rendre visite à ses compatriotes installés dans la péninsule. Las, ses homologues occidentaux n’ont pas eu le temps de lui glisser à l’oreille, entre deux toasts à l’amitié entre les peuples, la stabilité ou l’harmonie mondiale (diplomatie feutrée et constructive oblige !), l’existence d’une Charte universelle des droits de l’homme bien malmenée en son Céleste empire : « le boucher de Lhassa » a dû précipitamment regagner son fief pour cause de « troubles ethniques »… ou par crainte de perdre la face ? Dommage, car le statut revendiqué de « puissance pacifique montante » devrait l’inciter à faire meilleur cas de cette Charte. Le peuple chinois serait à n’en pas douter le premier à en bénéficier et à l’en féliciter, et les prétendues « minorités » se monteraient peut-être moins remuantes. Au Tibet, pas de bonnes nouvelles…
Pour l’heure, non seulement les nouvelles ne sont pas bonnes pour les nomades en Amdo, où les autorités annoncent la construction de baraquements géants pour loger 3000 élèves et un millier d’instituteurs afin de scolariser les enfants des familles éparpillées dans la région, mais d’autres dépêches non moins officielles annoncent le glas de Lhassa cité-soleil ou « lieu du divin ». Soucieux du bien-être de « l’ethnie tibétaine », le Conseil d’Etat (celui qui fait office de gouvernement à Pékin) a décidé que le temps était venu de faire de la capitale tibétaine « une ville touristique internationale » cosmopolite (c’est le terme employé)sur le thème « Pays sacré des neiges, perle brillante du plateau », mettant en vedette ses« caractéristiques ethniques » et son environnement unique. Ce plan de rénovation (à la chinoise) a pour but d’attirer en 2020 douze millions de touristes l’an (trois fois plus qu’en2007), ce qui devrait rapporter 30 milliards de yuans. Quant aux Tibétains, ou ce qu’il en restera, ils pourront toujours faire de la figuration… parmi les « reliques » laissées sur place pour faire joli comme sur les cartes postales. Encore heureux s’ils conservent le Potala : toutel a vieille ville de Kashgar a été rasée, y compris une école islamique datant du XVe siècle, qu ifaisait la fierté du lieu. L’UNESCO n’a même pas bronché…
Non content de lancer des vols directs dorénavant entre Pékin et Lhassa, le gouvernement chinois annonce l’ouverture prochaine de nouveaux aéroports, l’un à Ngari, l’autre à Batang, dans le comté de Yushu. Comme par hasard, le premier se situe non loin du Mont Kailash, le second dans une région à l’équilibre écologique délicat où se trouvent les sources de la Dri-chu (Yangtsé), de la Lantsang (Mékong) et du Yalong Dza-chu (FleuveJaune)… De quoi éveiller quelques soucis parmi ceux qui espèrent préserver un environnement naturel déjà de plus en plus fragilisé par l’accroissement rapide d’activités humaines menées au pas de charge sans considération aucune pour d’éventuelles conséquences mal évaluées.
Dans le même temps, les forces de l’ordre chinois poursuivent méthodiquement leur chasse à l’homme : des arrestations sont signalées à la suite d’affrontements ici ou là, àUrumchi comme ailleurs, des gens disparaissent et les familles sont sans nouvelles pendant des semaines, voire des mois – quelquefois, certains réapparaissent, d’autres sont condamnés, et personne ne sait exactement ce qui se passe, entretenant ainsi un climat permanent de peur dont il n’est guère facile d’imaginer le poids quotidien. Les troubles au Turkestan le rappellent à leur manière.
Un mot pour la fin, qui conforte l’espoir tibétain : à l’occasion de son 74e anniversaire dignement marqué à Dharamsala et à Delhi, le Dalaï-Lama a remercié de tous les bons voeux reçus de partout par une bien jolie boutade : « Avec tous ces souhaits de longévité, sûr que je vivrai non pas mille ans, mais au moins cent ans ! » Que le Bouddha l’entende…
C.B.L.
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