Nouvelle vague de dissidence au Tibet et harcèlement sur les écrivains
dimanche 6 juin 2010 par Rédaction , Monique Dorizon
Juste avant sa détention, Shogdung, un éditeur et essayiste tibétain bien connu, avait rendu visite à sa famille à l’extérieur de Xining, dans la province du Qinghai, où il vit. Alors, il s’est rendu dans les montagnes afin de faire une offrande tibétaine traditionnelle, jeter au ciel des "chevaux de vent" – en tibétain : Lungtas, prières imprimées sur des petits morceaux de papier. C’est un rituel auquel Shogdung, fonctionnaire de 47 ans travaillant pour la Maison de Publication des Nationalités du Qinghai, se serait précédemment opposé, au motif que ces traditions sont finalement préjudiciables aux efforts des Tibétains pour moderniser leur culture. Mais c’était avant mars 2008 et les "protestations de printemps" contre le gouvernement chinois qui ont balayé la totalité du plateau tibétain, touchant toutes les parties de la société, des nomades, agriculteurs et chefs d’entreprise aux élèves, enseignants et artistes.
> Shogdung, dont les opinions ont été précédemment considérées par de nombreux Tibétains comme étant proches de celles du Parti communiste, en est venu à croire que cette recrudescence de dissidence et de solidarité est un nouveau réveil pour le peuple tibétain et une redécouverte de la fierté de son identité tibétaine. Depuis mars 2008, ses écrits sur la "révolution pacifique" font partie des actes d’accusation de la politique chinoise au Tibet les plus aigus depuis 50 ans. Ils sont également susceptibles d’avoir été la cause de la descente de la police de la sécurité chinoise dans son bureau, le 23 avril 2010, de la saisie de ses livres et de deux ordinateurs et qu’il ait été emmené en prison.
> Pour la première fois depuis la Révolution culturelle, des écrivains, intellectuels, chanteurs et artistes du Tibet sont systématiquement ciblés pour leur travail, et presque chaque forme d’expression de l’identité tibétaine peut être accusée d’être "réactionnaire" ou "séparatiste". Un chanteur populaire de l’Amdo (maintenant Qinghai), Tashi Dhondup, est dans un camp de travail pour avoir chanté des chansons se référant au chagrin des Tibétains après les meurtres de mars 2008. Le fondateur d’un site tibétain valorisant la culture tibétaine, Kunchok Tsephel, a été condamné en novembre 2009 à 15 ans de prison [1] Blogueurs, artistes et autres intellectuels, y compris un artiste qui a enseigné la langue tibétaine à des enfants nomades, "ont disparu". Un auteur tibétain qui a interrogé des aînés au sujet de leurs expériences dans les années 1950 a perdu l’esprit après avoir été torturé en détention.
> Malgré, mais également en raison de la gravité des mesures de répression qui ont fait suite aux manifestations, la dissidence continue de s’exprimer, notamment par le biais de l’écrit. Comme écrivaine et poète la plus connue du Tibet, Woeser [2] dit que les Tibétains tentent de transcender la terreur en écrivant sur ce sujet. Ils osent réfuter le récit officiel de la Chine, présentant un défi plus complexe qu’auparavant pour le Parti communiste.
> Shogdung fait partie d’une nouvelle génération de Tibétains éduqués, à l’avant-garde d’une résurgence littéraire et culturelle au Tibet. Cette nouvelle génération biculturelle, bilingue, parle couramment le chinois ainsi que le tibétain, et est familiarisée avec la technologie numérique. Bien que moins connus à l’extérieur que des dissidents chinois tels que Liu Xiaobo [3] ou Hu Jia [4], Shogdung et d’autres écrivains tibétains et blogueurs arrêtés au cours des deux dernières années sont célèbres parmi les Tibétains, et leurs préoccupations au sujet des restrictions mises en place par l’Etat mais aussi de la répression, reflètent celles de leurs homologues chinois. Il s’agit d’une évolution d’importance incommensurable pour l’avenir du Tibet - et comme des intellectuels chinois créent de nouvelles alliances avec leurs homologues tibétains – et de la Chine.
> Alors que la loyauté envers le Dalaï Lama reste intacte, cette nouvelle génération d’intellectuels tibétains est souvent laïque au fond et politiquement modérée. Beaucoup supportent l’approche de la "Voie médiane" [5] du Dalaï Lama pour une véritable autonomie sous souveraineté chinoise. Dans une collection d’écrits, "Montagne de neige de l’est" - interdite dès qu’elle a été publiée au Tibet en 2008 – des essayistes de l’Amdo au Tibet oriental démontrent une connaissance approfondie de la politique et de la législation chinoise et tibétaine et discutent des souffrances du peuple chinois ordinaire, ainsi que de leurs luttes contre l’Etat. Tashi Rabten, un des éditeurs de la revue, un jeune étudiant à l’Université des nationalités du Nord-Ouest à Langzhou, réfléchi et déterminé, a été arrêté le 7 avril, sa chambre saccagée, et son sort est aujourd’hui inconnu. Dans la "Montagne de neige de l’est", il a écrit que les essais ont été publiés "comme une esquisse de l’histoire d’une génération écrite dans le sang".
> Depuis mars 2008, le gouvernement chinois tente systématiquement de bloquer les informations sur les arrestations, tortures, disparitions et massacres qui ont eu lieu au Tibet. Dans le cadre de cette démarche rigoureuse, les autorités chinoises ont lancé une campagne au Tibet, non seulement contre les "propagations de rumeurs", un terme généralement utilisé pour faire référence à des opinions et pensées divergentes en Chine - mais aussi contre leur écoute. Une Tibétaine, Norzin Wangmo, purge une peine de cinq ans, simplement pour avoir parlé au téléphone de la situation du Tibet
> Pékin a également renforcé le contrôle de l’Internet. Dans une annonce, classique dans son opacité, le Porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a déclaré récemment : "Le gouvernement chinois gère l’Internet conformément à la loi. Quant à ce que vous pouvez et ne pouvez pas regarder, regardez ce que vous pouvez regarder et ne regardez pas ce que vous ne pouvez pas regarder" En Chine, comme un écrivain le fait remarquer, il existe une ligne rouge entre ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas l’être. Mais vous ne savez pas où se trouve la ligne jusqu’à ce que vous l’ayez traversée.
> L’écrivain tibétain Shogdung, le rédacteur détenu le plus en vue dans la répression actuelle, savait qu’il avait franchi la ligne lorsqu’il a publié son livre, la ligne entre ciel et terre. C’est pourquoi il a rendu visite à son père âgé et prié dans les montagnes. Sa famille ne sait pas où il est, et personne ne sait combien de temps il sera arrêté. Mais son livre, publié sans numéro ISBN, est maintenant un best-seller connu par le bouche à oreille, circulant de manière souterraine, ses paroles écrites sur la "révolution pacifique" atteignent maintenant les Tibétains en exil aussi bien qu’au Tibet.
Source : Kate Saunders, "International Campaign for Tibet" sur le site de The Huffington Post, 22 mai 2010
NB : Tous les prisonniers cités dans ce texte peuvent être soutenus en les parrainant par le biais de l’action Tibet Post |
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