Et pour terminer la Newsletter avril 2009 de Claude B. Levenson TIBET, ENVERS ET CONTRE TOUT ESPOIR Incongruité des images se téléscopant au kaléidoscope de l’actualité : deux présidents euphoriques, tout sourire et un verre à la main, lors de la visite de Nicolas Sarkozy en novembre 2007 à Pékin chez Hu Jintao ; les deux mêmes, crispés, le bras raide lors d’une (traditionnelle ?) poignée de mains à Londres en marge du G-20 début avril 2009. Une mine d’enterrement qui sied d’ailleurs aux circonstances, puisque les deux hommes venaient officiellement (pour combien de temps ?) d’enterrer la bruyante brouille opportunément montée en épingle par l’un reprochant à l’autre d’avoir osé rencontrer le dalaï-lama, cet empêcheur de mentir en rond. Il aura fallu bien des salamalecs, plusieurs ambassades et nombre de missions de contrition pour apaiser le courroux des dignes héritiers de l’arrogance impériale de la Cité interdite – en somme, un acte d’allégeance à la dictature, guère conforme à l’idéal républicain ni à la réitération inlassable de la défense des droits de l’homme. Passez muscade, l’heure est au compromis et à la nécessité de s’en tenir à la Realpolitik. Autonomie ou indépendance, l’intégrité territoriale de l’empire est tenue pour sacro-sainte, le Tibet n’est pas à l’ordre du jour – ni des relations franco-chinoises, ni des instances onusiennes, et gare à vous qui osez vous ingérez dans les affaires intérieures de Pékin. Et pendant ce temps, là-bas au loin sur le toit du monde, dans ce pays qui existe pourtant sans existence dûment reconnue, les forces de l’ordre chinois arrêtent, harcèlent, torturent, violent, battent à mort les récalcitrants – moines, nonnes, nomades, fermiers, étudiants, vieux ou jeunes – ces insensés réfractaires au bonheur colonial imposé sous prétexte de modernisation, de libération de l’impérialisme et, tout récemment, d’émancipation des serfs, sans oublier la réforme démocratique. A se demander ce que veulent ces Tibétains qui s’obstinent à prétendre vouloir se gouverner eux-mêmes et bâtir à leur guise leur avenir en sauvegardant leur culture, leurs traditions, leur altérité. Rien de plus ni de moins que ce qui est inscrit dans la Charte des Nations unies… Littéralement coupé du reste du monde, transformé en prison à ciel ouvert, sous loi martiale inavouée, interdit à tout regard extérieur, le Tibet a vécu bâillonné les semaines marquant le 50e anniversaire de la révolte de Lhassa, le coup de force chinois contre son gouvernement légitime et le début de l’exil. A l’intérieur, quelques téméraires se sont risqués à manifester en solitaire ou en mini-groupes, aussitôt embastillés sans autre forme de procès. Des moines, des nonnes, des jeunes, des nomades, des fermiers ont été arrêtés – sous couvert de « troubles de l’ordre public », sinon de « mise en danger de la sécurité de l’Etat ». Rien, ou si peu, ne filtre pour permettre de se faire une idée de la situation, et ce n’est pas l’annonce de la réouverture du Tibet au tourisme dès le 5 avril qui va changer grand-chose, puisque journalistes et diplomates en demeurent strictement bannis. Et les agences touristiques intéressées sont moins affirmatives, avançant le 15 ou le 28 avril pour l’ouverture promise. Quant aux responsables des affaires du monde, ils ont bien trop à faire ailleurs pour demander des comptes aux tortionnaires, aveugles une fois encore aux conséquences prévisibles de leur inconséquence : despotes et tyranneaux liberticides de toute obédience ont vite fait d’en tirer avantage. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine – lors de la réunion dite de suivi de la conférence contre le racisme de Durban qui doit s’ouvrir à la fin du mois au siège européen des Nations unies à Genève, le Tibet n’est pas au programme. Dame, quiconque s’aventure dans cette auguste enceinte à prononcer son nom s’attire aussitôt les foudres des honorables délégués dépêchés en force afin qu’il ne soit pas porté atteinte à l’image de la Chine. Autrement dit, Union européenne, Amnesty International ou autre ONG, voire pays, qui s’y frotte se voit sur-le-champ remis vertement en place, au prétexte que « ces allégations sont basées sur l’ignorance et les préjugés », et ceux qui en font mention sont fermement invités à « revenir dans le droit chemin et procéder à davantage d’autocritique. » Un authentique langage de révolution culturelle même pas revisitée, simplement repris pour les besoins d’une cause pas facile à défendre face aux preuves et témoignages accumulés contredisant les lénifiants propos officiels. Faut-il que les actuels dirigeants chinois soient si peu sûrs de leur fait pour en arriver à croire, selon le mot de Mao, qu’un « mensonge répété cent fois devient une vérité ». Une vérité, peut-être, mais toute relative, et vouée comme toute chose à changer, car inexorablement la roue tourne. Une offensive de propagande sans précédent contre le dalaï-lama et les siens a dernièrement été lancée, qui ne s’embarrasse ni de scrupule ni de diplomatie, ni même de la réalité de faits historiques reconnus. Il n’est que de suivre les nouveaux sites qui viennent de fleurir sous des titres aussi révélateurs que « les droits de l’homme du Tibet » (et d’ailleurs ? de Chine, par exemple…) ou « le vrai Tibet » qui s’étend complaisamment sur l’exposition organisée en grande pompe à Pékin pour l’édification d’un public soigneusement choisi, sans oublier les « réactions des visiteurs », quitte à opérer le bon choix parmi les commentaires ou à déformer simplement ce qui a été dit : les ficelles classiques d’un bureau de la propagande, rebaptisé l’an dernier « de publicité », bien rôdé. Ajoutant l’insulte à la blessure, les pontes du PCC feignent de croire qu’il suffit de donner du bâton pour bâillonner l’opinion. Encore une fois, peut-être – mais simplement pour un temps : impossible de berner tout le temps tout le monde. Des Chinois ne s’y trompent plus, comme les signataires de la Charte 08 toujours plus nombreux en dépit du harcèlement continu auquel ils sont soumis, qui remettent en cause le système instauré avec le fusil. Des liens se tissent entre démocrates persécutés et peuples opprimés, à l’intérieur comme à l’extérieur. Une longue, si longue patience exprime à sa manière une forme de résistance : la liberté trouve refuge au cœur de ceux qui résistent tandis que passent les dictatures. L’histoire enseigne que ces dernières n’ont qu’un temps, que des consciences finissent par se réveiller pour secouer le joug imposé. Sans oublier que la liberté du Tibet est aussi une métaphore de la nôtre… C.B.L. Terminons avec ceci : "Tout ce que vous faites est insignifiant, disait Gandhi, mais il est très important que vous le fassiez" ____________________________________________________________________________________________________
vendredi 10 avril 2009
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