lundi 15 décembre 2008
Déclaration universelle des Droits de l'Homme : deux actions importantes
PARIS (18ème) mardi 16 décembre 2008 :
Un invité spécial, le dissident Tibétain TENZIN TSUNDUE au Théâtre du Grand Parquet CINQUANTE ANS D'EXIL: UN TIBET LIBRE EST-IL ENCORE POSSIBLE ?
Retrouvez la Communauté Tibétaine de France, Reporters sans Frontières et France-TibetMardi 16 décembre à 18h00Théâtre du Grand Parquet*20 bis, rue du Département,75018 Paris
Tenzin Tsundue, poète et militant tibétain exilé en Inde sera l'invité exceptionnel de la dernière soirée organisée par France-Tibet en faveur du Tibet, soirée qui clôture les actions conduites dans le cadre des Journées pour les Droits de l'Homme de ce début décembre2008.
Tenzin Tsundue, poète et militant tibétain exilé en Inde a conduit la Marche de Retour au Tibet en Inde avant et pendant les JO 2008 de Pékin. Plusieurs fois arrêtés, il a tenu bon et nous fera partager son opinion sur la situation actuelle au Tibet. Il vient d'être l'invité du Festival du Film pour les droits de l'Homme de Vienne (Autriche).Débat autour du documentaire :
"ROAD TO TIBET" par Manfredi Manera & Ankur Roy Chowdhury, et du reportage photographique" RETURN MARCH TO TIBET" de Flore-Aël Surun/Tendance Floue Avec la présence :Thupten Gyatso, président de la Communauté tibétaine de FranceVincent Brossel, responsable du bureau Asie de Reporters sans frontièresFrancesco Pezzetti, auteur de "Tibet, les couleurs de la mémoire"Marcelle Roux, présidente de France TibetPour nous rejoindre :Métro Max Dormoy ou La ChapelleCommuniqué France-Tibet
Merci de faire circuler particulièrement à vos contacts et amis de Paris et de la région parisienne afin qu'ils viennent nombreux à la rencontre de Tenzin Tsundue.
Pétition en ligne ( en anglais): pour la libération de Paljor Norbu, éditeur de 81 ans condamné à 7 ans de prison ...
Paljor Norbu (Photo) est un Tibétain agé de 81 ans qui viens d' ètre condamné par la justice chinoise à 7 ans de prison . Il est urgent d'agir pour une libération rapide de Paljor car vu son grand age et le traitement qu'il doit subir dans les géoles chinoise, un séjour trop long en détention serait pour lui comme un condamnation à mort .
Pour signer la pétition ( en anglais ) cliquez sur http://actionnetwork.org/campaign/humanrights?rk=m11WsoFqR9bNE
Point de vue de Pékin sur la rencontre de Varsovie :
Une farce politique qui nuit au prestige de la France Le Président français Nicolas Sarkozy a rencontré le 6 décembre à Varsovie le dalai lama et le Palais de l'Elysée justifie l'entrevue Sarkozy-dalai en insistant qu'elle n'est aucunement une rencontre spéciale.
Nicolas Sarkozy est actuellement Président de la République française et la France assume pour le moment la Présidence tournante de l'Union européenne et c'était pour cette raison qu'il a été décidé que le Sommet Chine-Europe se teindrait en France. Dans les conditions du moment et du lieu extrêmement sensibles et subtils, une personnalité politique revêtant une qualité tellement particulière, ne tenant aucunement compte des relations sino-françaises et des relations sino-européennes, a eu l'impudence de claironner sa rencontre avec le dalai lama et probablement seuls les niais et les idiots croiraient dans les justifications débitées par l'Elysée et penseraient que « l'entrevue n'a pas eu lieu spécialement » et que c'était un acte personnel normal » !
Monsieur Sarkozy qui est un vrai politicien occidental doit être pleinement au courant de la susceptibilité particulière du problème du Tibet et il doit comprendre parfaitement pourquoi la Chine est fermement opposée à la visite dans d'autres pays du dalai lama, quel que soit la qualité qu'il emprunte, pour y mener des activités en vue de séparer le Tibet de la Chine et à tout contact d'un dirigeant étranger avec ce dernier sous quelque forme que ce soit. En dépit de la mise en garde répétée de la partie chinoise, il persiste dans sa position et il est évident qu'il a pris la décision irrévocable de franchir la ligne rouge tracée par cette dernière. Cette provocation malveillante et malintentionnée va à l'encontre des intérêts vitaux de l'unification nationale de la Chine, c'est pourquoi il sera tout à fait naturel qu'elle paie à prix fort.
La farce qui a eu lieu à Varsovie nous rappelle une fois de plus le « numéro » donné par Monsieur Sarkozy avant les Jeux Olympiques de Beijing. Il a eu le toupet, le culot et l'effronterie de lier sa présence à la cérémonie d'ouverture au problème de Tibet, ce afin de faire pression sur le gouvernement chinois. Puis devant le refus catégorique de la partie chinoise et la critique de l'opinion publique mondiale, il a fait marche arrière et a tout de suite changé de visage, car il a non seulement assisté à la cérémonie d'ouverture des J.O., mais il a participé également au Sommet Asie-Europe tenu peu de temps après dans la capitale chinoise. Maintenant, on voit que Monsieur Sarkozy refait le même tour de passe-passe et exécute une fois de plus son tour d'adresse de volte-face en retournant sa veste.
Vu du contexte politique en France, Nicolas Sarkozy vit effectivement des moments pénibles et difficiles : récession économique, taux de chômage élevé, baisse de sa popularité, … etc. Alors Nicolas Sarkozy se creuse la tête pour trouver une issue lui permettant de sortit de l'impasse et il pense que le problème des droits de l'homme et le problème du Tibet sont de bon moyens lui permettant d'agiter dans les eaux troubles, de créer des problèmes et de détourner l'attention du public français. Mais Sarkozy qui s'estime infaillible et qui se croit habile et astucieux s'est complètement trompé dans ses calculs. Lui, qui pense nuire aux intérêts fondamentaux du peuple chinois pour obtenir le soutien d'une partie de la population française, porte atteinte finalement aux intérêts du peuple français et même aux intérêts d'ensemble de l'Union européenne. Lorsque le dirigeant d'un grand pays joue sur la scène internationale le rôle de quelqu'un d'inconstant et de versatile, exposé à des revirements soudains et tournant comme une girouette, il perd alors la confiance de la communauté internationale qui non seulement met en doute sa qualité politique personnelle, mais en plus soupçonne son pays dont l'image s'altère de beaucoup.
Source: le Quotidien du Peuple en ligne http://french.peopledaily.com.cn/Horizon/6549128.html"
Discours du Dalaï Lama au Parlement Européen
www.vriendenvantibet.be Actualités et témoignages
Récit du périple d'un Français à travers le Tibet Le Nouvel Observateur 13 décembre 2008 :
C'est un témoignage exceptionnel qui vient de nous parvenir.Un Français qui connaît bien le Tibet rentre d’un long périple à Lhassa et dans les régions tibétaines rattachées à différentes provinces chinoises.Il raconte le Tibet neuf mois après la révolte de Lhassa.Loin de se relâcher, la répression chinoise semble s’être installée dans un train-train de brutalité aveugle.Une occupation militaire écrasante. Un flicage policier constant. Des arrestations arbitraires. Des monastères vidés. Des moines et des nonnes harcelés. Des nomades sédentarisés de force. Des jeunes citadins disparaissant sans laisser de traces. Des tortures abjectes.Bref, une volonté évidente de régler l’agitation tibétaine par la terreur.Carlo Blanco est un pseudonyme. Il a choisi de masquer son nom afin de ne pas mettre en danger les personnes qu’il a rencontrées.Il faut lire Carlo Blanco, pour ne pas oublier la souffrance quotidienne des Tibétains. Ursula GauthierTibet, Décembre 2008 Les émeutes qui ont secoué le Tibet en mars et les jeux olympiques de Pékin sont déjà loin. Pourtant, dès mon atterrissage à Chengdu (capitale de la province chinoise du Sichuan qui englobe une partie du Tibet historique), les amis chinois qui travaillent dans l’industrie du tourisme me racontent comment untel n'a pu aller plus loin que Kanding (l'ancienne frontière entre la Chine et le Plateau tibétain), comment la chambre de tel autre a été fouillée par la police. Ils me supplient de faire attention, car eux-mêmes ont souvent à répondre des activités de leurs clients auprès du PSB (Public Security Bureau – Bureau de Sécurité Publique)."Surtout fais attention dans ta chambre d’hôtel, il y a très souvent des micros cachés", me disent-ils en vérifiant que toutes les ampoules sont bien au plafond (c'est un endroit favori pour placer les micros).La répression à GardzéDans le quartier tibétain de Chengdu, je retrouve une amie tibétaine de Gartzé (préfecture tibétaine de la province du Sichuan). Elle a vécu quelques années en Inde et depuis a bien du mal à s'insérer dans la société. N'ayant pas suivi le curriculum d'anglais dans les universités chinoises, elle ne pourra jamais avoir un poste d'enseignante dans une école. De plus, cette année, les agences de voyage ne sont plus autorisées à employer des guides qui sont allés en Inde. Elle me raconte ce qu elle a vécu en mars lors des manifestations qui ont secoué Gartzé comme tout le reste des localités tibétaines : "Lorsque nous avons appris ce qui se passait à Lhassa et qu’il y avait eu plus de 100 personnes tuées, beaucoup de monde est sorti dans la rue. La police a tiré, il y a eu des morts, des arrestations par centaines. La police et l'armée embarquaient n'importe qui, de jour comme de nuit. Il y avait des tanks et des soldats partout dans la ville. Les prisonniers étaient sauvagement tabassés, beaucoup ont dû être hospitalisés, certains sont devenus aveugles. Beaucoup de gens ont simplement disparu, et on n'a toujours pas de nouvelles d'eux.Ensuite des nonnes du monastère de Tongkor sont venues en groupe pour demander à la police de libérer les prisonniers, mais elles ont à leur tour été arrêtées, battues et torturées. Quelques-unes ont été libérées mais beaucoup sont encore en prison. Des renforts militaires en grand nombre sont bientôt arrivés. Les camps militaires se sont multipliés partout en ville et même tout près du monastère".Un moine me dit à quel point il avait eu peur. Il devait traverser la ville en voiture pour aller vers le nord. Il a été arrêté à un barrage militaire. Après un long moment d'angoisse, les soldats l’ont laissé passer. Il a traversé une véritable foule de militaires anti-émeutes, armés jusqu'aux dents. Il me raconte aussi que la police passe plusieurs fois par semaine dans les monastères pour interroger les moines à maintes reprises et que tout le monde a peur. L'inquiétude règne dans les monastères, surtout dans ceux où sont tenues des séances de rééducation, car les moines sont alors contraints de vilipender le Dalaï-Lama. Bien des moines et nonnes sont expulsés de leur monastère. Alors une vie d'errance commence pour eux. On leur a retiré leur carte d'identité et de ce fait ils ne sont plus acceptés dans les hôtels, ils ne peuvent plus acheter un billet de train ou une recharge de téléphone portable.Je suis surpris de voir ces amis de longue date hésiter à me donner trop de détails, même dans l'intimité. Le risque de représailles est si grand ! Tous me confirment que le nombre de disparitions est alarmant. C'est le drame de nombreuses familles.Des amis tibétains reviennent d'un voyage : ils travaillent pour une agence de tourisme et sont allés faire de la publicité pour le Tibet dans diverses provinces chinoises. Au retour, leurs bagages ont été soigneusement inspectés à l'aéroport de Chengdu, mais pas ceux de leurs collègues chinois (il est spécifiquement indiqué sur leur passeport qu'ils sont Tibétains). Tout Tibétain est par essence suspect.Je pars ensuite vers Xining (capitale de la province chinoise du Qinghai peuplée en majorité de Tibétains) où je rencontre des étudiants tibétains. Leurs études sont très coûteuses pour leurs familles de nomades et de fermiers. Les familles s'endettent, tout en s'inquiétant car elles savent que nombre d'étudiants ne pourront pas trouver de travail. En effet, leur niveau de chinois n'est pas aussi bon que celui des Chinois Han et la compétition pour obtenir des postes de fonctionnaire sera très dure.Le grand lama de Repkong tabassé en pleine rueJe pars à Repkong (préfecture tibétaine de la province du Qinghai). L'autoroute inaugurée l'an dernier est impressionnante mais elle est déjà truffée de nids de poule ! Je fais un tour dans le monastère, ou les pèlerins sont comme d'habitude occupés à faire tourner les énormes moulins à prières qui entourent les sanctuaires, ou à faire des prosternations devant les statues colossales. Des amis me racontent comment les émeutes ont commencé à Repkong, avant même celles de Lhassa :"C'était un soir d'hiver bien froid en mars, le jour des grandes offrandes de fumée odoriférantes de genévrier, nous étions très nombreux à déambuler dans les rues. Il y a eu une rixe entre un Tibétain un peu saoul et un commerçant musulman qui lui vendait un ballon en plastique. Le Tibétain a fait éclater le ballon avec sa cigarette ! Ils se sont mis à se battre. Puis d'autres Tibétains se sont mis à taper sur les Musulmans qui étaient autour. La police est vite arrivée et a embarqué tout le monde.Le lendemain, à nouveau, grand rassemblement de Tibétains dans les rues, cette fois pour le jour des danses sacrées du monastère. La police était très nombreuse et cela nous a énervés, les bagarres ont commencé avec des pierres, des coups de bâton et des centaines d'arrestations. Les gens étaient embarqués en masse, et détenus dans n'importe quelle caserne où ils étaient interrogés, battus, et puis pour la plupart relâchés assez vite, mais certains ont disparu.En fait comme les moines avaient refusé de participer à la fête des danses sacrées ce jour là, la police en a arrêté un grand nombre et puis en a tabassé beaucoup. Toute la population était choquée en voyant des jeunes moines être sauvagement battus, sans aucune raison. Finalement le grand lama de Repkong, un homme âgé et très respecté – y compris par ses nombreux disciples chinois –, a pris une longue écharpe de cérémonie (khata) et est descendu dans la rue pour parler à la police, espérant faire la paix. Au lieu de quoi, en pleine rue, il s'est fait battre comme plâtre, et a dû être transporté d'urgence à l'hôpital de Xining avec les membres cassés. Prévenus en hâte, ses disciples chinois – de hautes personnalités dit-on – se sont rendus à son chevet et grâce a eux, le lama et quelques moines ont pu avoir un sort plus clément.Une quantité incroyable de soldats a inondé la ville, entourant de sentinelles armées toutes les collines. Nuit et jour, la ville était encerclée.Les professeurs d'écoles, ainsi que tous les fonctionnaires, ont dû monter la garde et espionner leurs voisins. Ils étaient obligés de noter les allées et venues des uns et des autres. Seuls les instituteurs des petits villages avoisinants ont eu la possibilité de continuer leur travail d'enseignant".Maintenant, la ville semble revenue au calme, mais il suffit de faire le tour du monastère pour voir que les moines ont peur de parler, même de vous sourire. Il y a des caméras ici et là, des appartements réquisitionnés pour loger des policiers en civil qui observent depuis les fenêtres, des indicateurs partout. Les cris des soldats s'élèvent régulièrement, comme des aboiements de chiens énervés.Voyant la situation, j'annonce que je ne resterai que quelques jours. Soulagés, mes amis m'en remercient. Cette année, une nouvelle réglementation interdit aux écoles et autres organismes gouvernementaux de recevoir de l’argent de l’étranger. La plupart des ONG sont en attente. Certaines, particulièrement à Lhassa, ont été purement et simplement expulsées.La police n’arrive pas à lire les mails en français et coupe le téléphone
Je retourne ensuite à Xining, où, de l’appartement de mes amis, j'envoie un email en français, un message très neutre visant simplement à dire où je suis. Peu après, mes amis remarquent que la ligne de téléphone ainsi que la connexion Internet ont été soudainement coupées. Etonnés, ils vont au bureau des téléphones. On finit par leur dire que la police n'arrivant pas à lire le français, on lui avait purement et simplement coupé la ligne !(Plus tard, à Lhassa, j'entends parler d’une traductrice chinoise qui est appelée par la police à chaque fois qu’il y a des mails en français...)En fait, plusieurs amis ont maintes fois essayé, en vain, de m'appeler de l’étranger sur mon téléphone portable qui marchait pourtant localement.Au moment des événements de mars, les médias ont abondamment parlé des milliers de manifestants au monastère de Labrang en Amdo (une partie du Tibet historique rattachée à la province chinoise du Gansu). Sur place, il est difficile de savoir combien de prisonniers ont été libérés, je n'arrive pas à avoir de détails. J'apprends qu'il n'est possible d'entrer dans le monastère que si on montre des papiers d'identité. Il en est de même à Kumbum, le plus grand monastère du Qinghai. Les moines sont sous haute surveillance.Le train pour LhassaJe prends le train pour aller à Lhassa, j'ai obtenu sans problème un permis de 10 jours en touriste individuel pour la Région autonome du Tibet, mais le nombre des lieux où j’ai la permission d'aller est réduit aux villes qui se trouvent sur la route du retour vers le Népal.Je suis seule dans le compartiment jusqu'à Golmud. Là, à trois heures du matin, un Chinois entre et s'installe. Je remarque qu'il porte autour du cou un rosaire et je repère aussi que son téléphone affiche des images de bouddhas chinois. Au lever du jour, nous passons les cols les plus hauts dans la neige, mais comme le train est pressurisé, comme un avion, aucun mal de crâne n'est à craindre à cause de l'altitude. Heureusement les cigarettes sont interdites, sauf dans les toilettes !Ce qui est bizarre, c'est d’être entouré de neige et d'être dans un compartiment surchauffé. Les femmes dehors lavent leur linge dans un ruisseau glacé. En imagination, je vois passer sur ces rails des montagnes de minerais et le bois de forêts entières, emmenés vers la Chine en dépit des règlements existants. Même les scientifiques chinois ont décrit le Tibet comme le « troisième pôle » et ont montré qu'il fondait quatre fois plus vite que l'Arctique et l'Antarctique. Ce chemin de fer véhicule des milliers de colons chinois, ainsi que des troupes, des cargaisons d'armes, de l'artillerie lourde qui seront acheminés jusqu'aux frontières indienne et népalaise.Nous passons par Nakchu. La taille des magasins et des hangars me laisse perplexe. Sont-ils en train de construire, comme je l'ai entendu dire, des abattoirs pour les milliers de yacks que le gouvernement chinois a prévu d’abattre selon leur plan de sédentarisation des nomades ?Actuellement, le système millénaire des nomades est gravement menacé par les nouvelles politiques. Ils doivent quitter leurs terres, vendre à bas prix leurs animaux et sont forcés d'habiter dans de vieilles prisons ou des lotissements inappropriés à leur culture. Ils n'ont aucune expérience du commerce ni de l'agriculture, et se retrouvent extrêmement malheureux et démunis devant un poste de télévision dont les programmes ne leur parlent que de rêves qu'ils ne pourront jamais vivre. Essayer de discuter ou de s'opposer aux ordres du gouvernement est toujours remercié par une arrestation, la prison, la torture et des amendes.Nakchu a tellement changé que j'ai du mal à retrouver mes repères qui ne datent pourtant que de deux ans.Le Chinois qui dort à côté de moi voyage avec un tout petit sac. Il n'a pas d'appareil de photo, juste son téléphone qui sonne assez souvent. Je découvre qu'il a en fait une dizaine d'amis dans le wagon et qu'ils ne cessent de s’appeler pour admirer le paysage: "Eh, regardez à droite, le Mont Nyenchen Tangla ! Le lac Nam Tso!" Ils semblent bien connaître ces lieux sacrés où les touristes Chinois déferlent en bus à une fréquence étourdissante pendant les mois d'été. Lorsqu’enfin nous passons sur « rainbow bridge », le "pont de l'arc-en-ciel", au-dessus de la rivière Kyichu, nous voyons clairement le sublime Potala. Le groupe d’amis chinois sont déjà tous ensemble, prêts à descendre, et disparaissent en me laissant perplexe. Quel est le but de leur expédition ?"S’il te plaît, ne fais aucune photo de militaire…"
La gare est un bâtiment typiquement communiste, rouge et lourd. Actuellement, seule la ligne Chine-Golmud-Lhassa est ouverte, mais au vu de la taille immense de l'édifice, tout porte à imaginer que beaucoup d'autres lignes de chemin de fer vont bientôt être construites.Personne n'a le droit de venir chercher les passagers dans la gare, les taxis attendent bien loin. Un ami m'accueille. Il est sous le choc : il n'avait pas pris ses papiers d’identité et sa voiture a failli être confisquée. Par chance, le policier était, comme lui, un Khampa (Tibétains originaires du Kham, partie orientale du Tibet historique aujourd’hui partagée entre la R.A.Tibet et le Sichuan limitrophe). Il a téléphoné au bureau où mon ami travaille pour vérifier son identité, et l'a finalement laissé partir. L'entraide entre Tibétains est bien là! Ouf !Je découvre de nouvelles autoroutes et des périphériques menant à Lhassa. Seule, je me serais perdue. Pourtant je connais Lhassa depuis 22 ans. A cette époque, les moutons passaient en troupeaux à travers la ville et il était très difficile de trouver la moindre voiture pour aller de la station de bus à l’hôtel. Les bagages étaient transportés par voitures à bras!Mon ami me dit sérieusement : "S'il te plaît, ne prends aucune photo de l'armée ou de la police, j'ai peur !" Je comprends que même si elle n’est pas impliquée, tout ce que je fais peut lui être reproché….Nous nous retrouvons dans ma chambre d’hôtel, bientôt rejoints par un autre ami qui est professeur d'école. Il me montre son téléphone portable dont il a retiré la batterie et me demande de faire la même chose. L'éteindre ne suffit pas car la police peut se servir de nos portables comme micro et écouter toutes nos conversations. Je m'empresse de l'imiter et il me raconte combien tout est lu, écouté. Il y a des centres d'espionnage multiples, pour tous les dialectes tibétains et quelques langues étrangères.Le pauvre ! Il doit aller plusieurs fois par semaine écouter des séances de rééducation patriotique et répondre à toutes sortes de questions. Tous les directeurs d'école sont tenus d’y assister et apprendre par coeur des louanges du gouvernement communiste, critiquer le gouvernement tibétain en exil et le système féodal du passé mené par le Dalaï-lama. Ils doivent aussi mémoriser le détail de tout ce que les Chinois ont apporté au Tibet sur le plan économique et social. Le tout est très ennuyeux et répétitif. Mais il faut être là.La société est organisée en différentes "unités de travail" qui regroupent les divers corps de métier, ainsi qu'en "comités de quartier" qui doivent se réunir régulièrement pour recevoir les instructions du gouvernement. De cette façon, tout le monde peut être bien contrôlé !Aux premières lueurs du jour, le clairon militaire sonne et, très vite, les aboiements des militaires commencent, secs et heurtés, bientôt suivis par une voix sirupeuse cascadant une mélopée irréelle. C'est un chant de louange à la patrie. Quelques moments encore et les bruits de bottes scandés résonnent dans la rue, tchlac tchlac tchlac. Ils sont une trentaine, tous casqués et paradant, le fusil pointé vers le ciel. Certains ont des boucliers anti émeutes, d'autres des bâtons électriques et des cartouchières en bandoulière. Il y a aussi les camions militaires bâchés qui promènent des soldats en armes tout autour de la ville pour dissuader les manifestants. Les gens sont maintenant tellement habitués qu'ils les regardent à peine.Je marche vers le centre de la ville tibétaine, sur le Barkor, ou les Tibétains tournent depuis des centaines d'années autour du Jowo, fameuse statue du Bouddha de l'infinie compassion, offerte au VIIIe siècle par la princesse chinoise Wencheng à son époux le grand roi tibétain Songtsan Gampo. Tous les jours, des milliers de Tibétains tournent autour d’elle. Sur le cercle extérieur, la rue est encombrée de gens et de marchants. Sur celui du milieu, autour du temple, ils font tourner les moulins de prières. Et dans l’enceinte du temple, ils vont de chapelle en chapelle offrir du beurre fondu pour les lampes qui brûlent devant les statues. Dans le saint des saints, un moine "offre" plusieurs couches d'or, passées au pinceau sur la statue du Jowo. Devant la porte principale du temple du Jokhang, des centaines de gens se prosternent de tout leur long, encore et encore, tout au long de la journée, sans avoir l'air de remarquer les nombreux militaires qui passent en groupe de cinq au milieu d'eux.Pour moi c'est un choc. Mon cœur se serre à la vue des soldats en uniforme postés sur les toits, fusil au poing, prêts à tirer. Il y a des petites caméras partout et des grappes de policiers tibétains habillés en noir, sous des tentes publicitaires Coca-Cola. Ils sont aussi armés et arborent un téléphone portable accroché à l'épaule. Cela fait des années qu'il y a des policiers dans les rues, mais maintenant leur nombre est ahurissant. Ils ont planté leurs petites tentes tous les 20 mètres, partout, partout. En fait, ils ont plutôt l'air de s’ennuyer. Leur seul passe temps semble être de boire du thé et de se chauffer le dos au soleil. Une amie me raconte : "Le gouvernement pour nous énerver a fait venir les policiers de Chamdo (ville de l’est du Tibet). Nous, les gens de Lhassa, on appelle les gens de Chamdo 'enculeurs de cadavre' et eux nous appellent 'pisse partout' ! Evidemment cela n’arrange pas l’atmosphère !"En parlant avec des amis, j'apprends qu'en mars dernier, au moment des manifestations, les autorités avaient désarmé les policiers tibétains, car ils ne leur faisaient pas du tout confiance. Maintenant, certains portent une mitraillette noire qui ressemble à un jouet de luxe. Casqués, ils tournent dans le sens contraire des pèlerins, qu'ils touchent presque tant la foule est dense, sans échanger avec eux le moindre regard. Deux mondes qui partagent le même espace tout en évitant tout contact.Des spécialistes lisent une à une les lettres du Dalaï-lamaC’est pour la paix que les Tibétains ne cessent de prier, en tournant autour des temples sacrés, avec constance, jour après jours, comme si de rien n’était. J’aime les suivre, et les voir se prosterner avec respect devant le Potala, la "maison blanche" du Dalaï Lama.Le billet pour entrer au Potala est relativement cher, 100 yuans (environ 10 €). Ces temps-ci, peu de pèlerins y entrent, et, depuis mars, encore moins de touristes. En été 2007, 7 000 personnes le visitaient chaque jour. Il fallait réserver dix jours à l'avance.Après avoir gravi les nombreuses marches, j'arrive dans les appartements de Sa Sainteté le Dalaï-lama. La moitié de la salle est couverte de bâches, on m'explique que le gouvernement a envoyé des spécialistes qui lisent une à une toutes les lettres laissées par le Dalaï-lama. Cinquante ans après la fuite du Dalaï-lama, ils fouillent encore les lieux. Très vite, deux gardes chinois me suivent de salle en salle. Plusieurs des moines du Potala, habillés en blouse grise, me reconnaissent et m'accueillent avec de grands sourires. Au bout d’un moment les deux soldats finissent par trouver cela plutôt amusant et se mettent à sourire eux aussi. Pour ces moines, la vie est dure, ils sont surveillés en permanence par les caméras vidéos et micros.Je m'étonne qu’on ne puisse plus grimper les escaliers qui mènent à la pièce la plus sacrée, celle du Bouddha Toukdjé Chenpo (de la grande compassion) car, me dit un moine, on craint ici les voleurs. Il est vrai que de plus en plus ce sont des Chinois (civils ou militaires) qui visitent les lieux, sans montrer la moindre dévotion pour ces trésors sacrés.Lhassa est vide cet hiver. Les agences de tourisme ont fait cet été à peine 12% de leurs recettes de 2007. Et maintenant, pendant l'hiver, les pèlerins tibétains qui traditionnellement viennent de l'Amdo et du Kham, sont restés chez eux, car ils n'ont pas les papiers nécessaires pour passer les nombreux contrôles de police. Par conséquent, la plupart des hôtels ont dû fermer. Ceux qui fonctionnent encore doivent installer petites caméras de surveillance en circuit fermé, des CCTV, qui doivent enregistrer pour la police tout ce qui se passe dans le hall d'entrée et dans le restaurant. Certains hôteliers tibétains résistent encore. Mais s’ils s’entêtent à refuser de les installer, leur hôtel sera fermé. Pour les y contraindre, le soir, plusieurs militaires viennent occuper les lieux, histoire d'intimider la clientèle.Je retrouve un jeune ami qui, il y a quelques années, avait tenté plusieurs fois d'aller en Inde, mais s'était fait chaque fois arrêter en chemin, et y avait finalement renoncé. Du coup, il avait ouvert un petit restaurant à Lhassa l'an dernier. Quelques jours après les émeutes de mars, il s'est fait arrêter avec un grand nombre d'autres personnes, simplement parce qu’ils n'étaient pas de Lhassa. Ils ont été incarcérés dans la prison de Tolong et battus tous les jours avant même d'avoir été interrogés. Pour toute nourriture, un ti-momo, (pain blanc à la vapeur), et pas du tout d'eau pendant plusieurs jours, ils devaient boire leur urine. Il fut relâché au bout de 15 jours. Dans son groupe, il a vu deux personnes mourir et a entendu parler d'autres morts mais ne sait pas combien. En fait nul ne connaît exactement le nombre de morts, mais il y en a eu au moins deux cents à Lhassa. Il paraît qu'il y a un champ près de Lhassa où les cadavres ont été enterrés.Neuf mois sont passés, mais rien ne semble s’être assoupli depuis avril. La police secrète comme la police en uniforme sont omniprésentes. Toutes les entrées des rues qui mènent au temple principal de Lhassa, le Jokang, sont flanquées de soldats chinois armés et casqués. Le spectacle terrifiant de gens tirés à bout portant et mourant en pleine rue a pris fin, mais ceux qui ont vu ces drames m’en parlent, secoués de sanglots.
"A ce moment là, me dit un ami, absolument personne n’est sorti dans la rue pendant trois jours, tout le monde se terrait en espérant que la police ne vienne pas nous tuer à domicile, surtout la nuit, aveuglément, sans aucune raison. Nous dormions tout habillés car nous pouvions être embarqués sans même avoir le temps d’enfiler un pantalon".Il ne s’agit pas de paranoïa. La peur est bien fondée, et les enlèvements de jeunes hommes dans les rues de Lhassa sont encore nombreux. Les parents sont inquiets et vont chercher leurs grands enfants à l'école. Ils leur donnent des sandwiches pour qu’ils ne sortent pas à l'heure du déjeuner. N’importe quelle rencontre peut provoquer une arrestation, la semaine dernière, un ami guide est simplement allé rendre visite à sa cousine chez elle à Lhassa. Le lendemain, elle s'est faite arrêter et aujourd’hui, il n’a aucune idée d’où elle est. Pourtant ni l’un ni l’autre n’ont la moindre activité politique.
Cette année plus que jamais, les guides qui sont allés en Inde et parlent le mieux l'anglais ont été rayés de la liste de guides officiels. Ils se retrouvent donc sans aucune possibilité de travailler ni dans le tourisme, ni dans l’enseignement. C’est terriblement injuste, car il y a quelques années, le gouvernement encourageait les exilés à revenir au Tibet en leur donnant divers avantages comme des coupons de nourriture. Cette situation est désastreuse car bien des parents ont envoyé leurs jeunes enfants en Inde, au prix d’un voyage clandestin souvent dangereux, à travers les montagnes enneigées, pour qu’ils reçoivent une éducation tibétaine, telle qu’en dispense le "Tibetan Children’s Village" de Dharamsala par exemple. Ce faisant, ils ont simplement l’espoir de créer une génération de Tibétains qui reviendra au pays en pouvant partager la culture authentique tibétaine. En fait, d'après certains rapports, 78% de la population du plateau tibétain est encore analphabète alors qu'en exil, 94 % est éduquée.Cette année la vente de cordyceps, le yartsa gungbou, "racine-chenille", utilisée pour la médecine traditionnelle chinoise, a été interdite. Dans les rues de Lhassa, quelques vendeurs continuent d’en proposer à la sauvette, mais la plupart du temps l’argent qui venait de cette manne facile à gratter sur les terres du plateau tibétain manque dans les familles, causant aux villageois comme aux nomades un déficit énorme.Les nomades qui forment à peu près 70 % de la population tibétaine sont encore plus contrôlés et obligés de rejoindre les bâtiments moroses qui leur sont alloués. Les yaks semblent avoir reçu une condamnation à mort à court terme.En fait, depuis vingt ans, tout le système millénaire des bergers nomades passe progressivement sous le contrôle des Chinois : ils doivent quitter leurs pâturages, vendre à bas prix leurs animaux, sont forcés d’habiter dans de vieilles prisons désaffectées ou des lotissements inappropriés à leur culture.Le coût de la vie a terriblement augmenté cette année et la situation financière est vraiment préoccupante pour la plupart des Tibétains. Simplement survivre est une gageure pour beaucoup d’entre eux : les promesses d’aides faites par le gouvernement aux paysans obligés d’arrêter de cultiver l’orge pour planter des arbres, ou aux nomades obligés d’acheter à crédit leur nouvelle maison, ne sont que paroles vides, la compensation est inadéquate. Tout le système ancestral de la paysannerie tibétaine a été disloqué, désorganisé, entraînant une véritable catastrophe économique et écologique. Certains officiels chinois commencent à le reconnaître.A vrai dire tous les Tibétains souffrent. Si par exemple ils ont un travail de cadre dans une banque, à la radio ou dans l’éducation, il leur est impossible de changer de travail et de démissionner. Ils doivent adhérer au Parti Communiste et chanter ses louanges. Quand ils résistent, ils subissent le harcèlement de leurs camarades jusqu’à ce qu’ils cèdent. Impossible pour les fonctionnaires d’obtenir un passeport. Fini le rêve d’aller en Inde pour rencontrer le Dalai Lama, même en secret.Je vais au monastère de Sera, réputé pour les débats philosophiques très animés des moines. Aujourd’hui rien ne s'y passe plus, le monastère semble hanté : il n’y a plus que très peu de pèlerins et trois touristes blancs accompagnés d'un guide, au milieu des dizaines de policiers en noir, aux aguets. On trouve aussi parmi les moines quelques informateurs.Dans la chapelle de Tamdrin, trois vieux moines ridés guident la tête des pèlerins sous le pied de la statue de la déité enrobée d’écharpes de soie. L’ambiance est étonnante dans cette salle où les protecteurs grimacent d’un air terrifiant. Au premier étage une cérémonie est rythmée avec force par les tambourins d’un petit groupe de moines, presque tous très âgés. A vrai dire, ils n’ont été maintenus ici que pour offrir une façade de monastère aux pèlerins et aux touristes. Ils en sont réduits à garder les chapelles, ouvrir et fermer les portes, remplir et vider l’eau des bols d’offrande. Il leur est interdit de parler à quiconque de la réalité de la situation : sur 1 200 moines, il n’y en a ici plus qu’une centaine, les autres sont en prison, peut-être à Nyintri dans le Kongpo (Est du Tibet), personne ne sait vraiment ni où ils sont, ni combien sont encore vivants. Tortures barbaresLes tortures qu’ils ont subies sont sans aucun doute horribles. On m’a parlé de prisonniers auxquels la famille avait apporté de la nourriture. Ils en ont été punis : on leur a déboîté les épaules, détruit les cartilages des coudes, des genoux et laissés handicapés à jamais. Ils endurent aussi des séances de matraque électrique si intenses que leurs neurones peuvent disjoncter. Ils se font retirer beaucoup de sang, sont utilisés comme jouet sexuel ou comme jouet d’entraînement aux arts martiaux. Beaucoup perdent la vue, deviennent infirmes à vie. On parle de prisonniers qui ont été libérés au seul de la mort pour qu’ils aillent agoniser ailleurs.Petits ou grands, tous les monastères du plateau tibétain sont sous un contrôle très strict, soit qu’ils soient soumis à des séances de rééducation, soit que la police passe pour interroger, harasser, intimider, voler ou détruire sans vergogne. Le monastère de Drepung (proche de Lhassa) est désormais sous le contrôle des moines du monastère Tashi Lumpo de Shigatzé (connus pour être de dociles collaborateurs des Chinois). Ganden (autre grand monastère des environs de Lhassa) est tout simplement fermé. Les images de milliers de soldats casqués envahissant l’hiver dernier les ermitages isolés où cent ou deux cents moines vivaient retirés sont encore vivantes dans les esprits.C'est la raison pour laquelle je n’ai pu aller nulle part dans la région de Lhassa, ni au monastère-ermitage de Trayerpa, ni à la nonnerie de Terdroum ou celle de Shuksep, ni à Samyé-Chimphou, car à chaque fois j’aurais dû demander un permis, être accompagné par un guide et, sur place, subir la surveillance des trois genres de police qui sont omniprésents. Partir dans les ermitages m’a donc paru présenter un risque pour les locaux et je me suis restreint à faire quelques koras autour du Jokang, et à tourner autour de Lhassa avec les pèlerins. Autour de la colline sacrée du Chakpori, un lama du Kham faisait graver sur des pierres tous les écrits du Bouddha, travail spectaculaire auquel beaucoup aiment participer en faisant des donations, si humbles soient-elles.Même en prenant un maximum de précautions, en évitant de parler aux amis qui me reconnaissaient dans la rue, j’étais conscient du risque que je représentais pour les gens que je croisais. J’ai donc renoncé à prolonger mon voyage et je suis rentré au bercail.Bizarrement les touristes qui partaient de Lhassa par avion cet hiver n’ont pas eu à ouvrir leurs valises à la douane. Il paraît que plusieurs touristes qui ont voulu prendre des photos de l’armée ou de la police se sont fait confisquer le film ou la carte. J’ai entendu dire qu’un touriste s’était même battu pour garder ses clichés, mais en vain.L’envie de prendre photos ou films m’a démangée plusieurs fois, surtout quand je croisais les nombreux groupes de militaires casqués qui gardent les ruelles menant au Jokhang ou au temple de Ramoche : leurs boucliers sont abîmés comme s’ils avaient reçu une avalanche de pierres ! On se demande d’ailleurs pourquoi l'entrée du temple de Chidé est tellement gardée, alors qu’elle ne fait que deux mètres de large…A vrai dire, les militaires sont plutôt à plaindre quand on les entend tôt le matin tirer à qui mieux mieux sur des cibles en carton, qu’on les voit parader armés jusqu’aux dents au milieu d’une foule désarmée occupée à faire ses dévotions. C’est épouvantable d’avoir à tirer sur des êtres qui prient pour la paix.Combien de temps vont-ils encore être obligés de déambuler lourdement casqués dans les ruelles de Lhassa ? J’en ai vu qui étaient visiblement ivres le soir. Rester postés aux carrefours nuit et jour, n’est ce pas un genre de supplice ? Je ne sais pas combien ils sont payés, mais au Tibet, il fait bien trop chaud en plein soleil et bien trop froid le soir pour rester immobile pendant des heures. De plus, ils doivent rester loin de chez eux pour deux ans au moins, sans pouvoir faire la moindre remarque à leurs supérieurs.Aujourd’hui la communauté des Chinois bouddhistes à travers le monde grandit, de nombreux lamas sont invités dans les grandes villes de Chine, et nombreux sont leurs élèves qui reconstruisent les monastères au Tibet même. Les livres des lamas qui enseignent à Taiwan circulent librement dans les mégalopoles comme Pékin ou Shanghai, il est même de bon ton d’avoir un maître spirituel tibétain et de l’aider à construire des temples et à ériger des statues au Tibet. L’intelligentsia chinoise porte un vif intérêt aux sources spirituelles et culturelles qui, encore vivantes au Tibet, ont presque totalement disparu en Chine.Des Chinois fans du KarmapaJ’ai vu des milliers de Chinois en Inde, à Bodh Gaya, l’an dernier devenir quasi-hystériques devant le Karmapa, comme s’il était une pop star. Certains Tibétains savent tout cela, car ils arrivent tout de même à avoir accès à la BBC ou à « Radio Free Asia » par satellite TV ou par Internet. J’ai été surpris de voir que parfois les Tibétains sont très informés de ce qui se passe actuellement dans les discussions du Parlement en exil à Dharamsala. Ils parviennent même à suivre les enseignements du Dalaï-Lama en direct !Le plateau tibétain représente presque un tiers de la superficie de la Chine. Il regorge de ressources minérales et forestières. C’est un territoire inhabité, dont les sources irriguent la quasi totalité du continent asiatique. Les Tibétains ne retirent pas les avantages de la modernisation prônée par Pékin. Le chômage va grandissant, les prix augmentent et les ressources traditionnelles, comme la culture de l’orge et les produits de l’élevage des yaks, moutons ou chèvres, ont été dramatiquement désorganisées par une politique autoritaire et brouillonne qui n’a cessé, au cours des années, de donner des ordres et des contrordres.De plus, mines et exploitations hydrauliques prolifèrent, défigurant les espaces magnifiques et accaparant les meilleures terres des Tibétains qui n’en tirent ni l’avantage d’un dédommagement financier, ni une possibilité d’emploi. Dans ces conditions, comment pourraient-ils ne pas se révolter, même si cela semble être un suicide collectif ? Certains Tibétains imaginent une autre forme de résistance, par exemple des commandos qui feraient exploser les infrastructures du train, des routes, des barrages. Mais ce serait aller à l’encontre de la vision du Dalaï-Lama et, de toute façon, la délation est telle à l’heure actuelle que tout complot serait vite découvert.Alors une autre forme de résistance apparaît : les Tibétains deviennent de plus en plus végétariens. Certains lamas, répétant les conseils du Dalaï-Lama et du Karmapa, insistent sur le fait qu’il est vertueux de ne pas faire souffrir les animaux. Dans le Kham, dans l’Amdo et même à Lhassa, on voit des restaurants végétariens s’ouvrir. De plus en plus de Tibétains passent les quatre mois sacrés de l’année sans consommer une bouchée de viande, ce qui est aussi une protestation non déguisée contre les abattoirs gouvernementaux et ceux gérés par les musulmans, qui se multiplient à la faveur de la sédentarisation forcée des nomades et de la vente obligée de leurs troupeaux.Depuis 50 ans, de nombreuses manifestations à Lhassa et dans beaucoup de localités tibétaines ont été violemment réprimées. Rien ne semble à même d’améliorer la situation, et les actions en faveur des droits des Tibétains – le militantisme des Tibétains de l’exil ou celui des défenseurs des droits de l’homme, les prix et médailles décernées au Dalaï lama ou ses rencontres avec les leaders politiques du monde – semblent même empirer leur sort. Au point que le Dalaï Lama déclare parfois que "le peuple tibétain semble être condamné a mort".Mais en cette année 2008, les Tibétains ont vécu un tournant important vers la réalisation d’une identité tibétaine unifiée, au delà des divisions régionales entre le Kham, l’Amdo et le Tibet central. Quant aux Tibétains en exil, ils se sont tous ralliés à la politique de résistance non violente de Sa Sainteté le Dalaï-Lama.
site: http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20081213.OBS5281/recit_du_periple_dun_francais_a_travers_le_tibet.html?idfx=RSS_notr&xtor=RSS-17 >
Echos du Tibet LE MONDE 12.12.08 XIAHE, LANGMUSI, ABA (GANSU ET SICHUAN)
ENVOYÉ SPÉCIAL Bruno Philip
Dans l'air glacé du matin, ils sortent au pas de course de la caserne, puis se mettent à taper violemment du pied sur l'asphalte. "Un, deux, trois !", brament-ils de concert, le genou haut levé. En cette fin novembre, à Xiahe, la démonstration de force des soldats de la Police armée populaire, les paramilitaires chinois, n'est pas sans motif. Dans cette ville à majorité tibétaine de la province du Gansu, au nord-ouest de la Chine, certains "meneurs" d'une violente manifestation tibétaine qui a éclaté ici dans la foulée de l'émeute de Lhassa du 14 mars, sont en train d'être jugés. Personne ne sait ce qui se passe réellement dans la "Région autonome du Tibet" voisine, la province reste interdite aux journalistes. Le Monde, comme les autres médias basés en Chine, s'est vu récemment refuser l'autorisation de s'y rendre. Nul ne sait combien de personnes sont passées devant les tribunaux ni quelles peines exactes ont été requises. Mais tout le monde, en ville, a compris que ce spectacle matinal est destiné à prévenir d'éventuels mouvements de solidarité avec les condamnés. Le défilé martial semble laisser les Tibétains interdits : quelques-uns, une manche de leur chuba négligemment rejetée en arrière, se sont arrêtés devant les échoppes de la rue principale et regardent, perplexes, s'agiter les jeunes paramilitaires. Deux mondes semblent coexister en s'ignorant : celui de la Chine, qui étire ici sur ces marches de l'empire l'une de ses ultimes frontières occidentales, et celui de l'univers tibétain, au pire rétif, au mieux indifférent. Le 16 mars, une flambée de violence inhabituelle, qui n'a cependant fait aucune victime, ni chez les manifestants ni du côté des forces de l'ordre, a ébranlé Xiahe. Scénario classique des troubles qui ont secoué le Tibet et les préfectures ou districts tibétains des provinces voisines : les moines organisent des rassemblements, suivis par de jeunes laïcs, chômeurs en colère ou Tibétains frustrés face à l'opulence, relative ou non, des commerçants d'ethnie han et hui, ces derniers appartenant à une minorité musulmane chinoise. Cette version est celle que nous ont donnée des moines du grand monastère de Labrang, l'un des six plus importants du monde tibétain sur le plan de la qualité de ses enseignements philosophiques. Ce monastère, qui trône au centre de la partie tibétaine de la ville de Xiahe, dresse ses drapeaux et ses "cathédrales" aux toits dorés dans une vallée aride, écrasant un maillage complexe de ruelles étroites aux maisons basses, les résidences d'un millier de moines. En mars, les manifestants s'étaient dirigés vers le siège du gouvernement local, dont la plupart des fonctionnaires sont d'ethnie tibétaine. Puis ils s'en étaient pris à certaines boutiques des commerçants chinois en fracassant les devantures. Les paramilitaires intervinrent et dispersèrent la foule à coups de grenades lacrymogènes. "Quelques semaines plus tard, la police a fait une descente au monastère. Tout a été fouillé. Ils cherchaient des photos du dalaï-lama et surtout les téléphones portables grâce auxquels certains de nos frères avaient photographié la manifestation !", raconte un moine dans un chinois hésitant. Selon lui, il y eut cette nuit-là près de 200 arrestations, mais la plupart des moines ont été peu à peu relâchés. Aucun mauvais traitement n'a été signalé, assure notre interlocuteur. Mais il précise que certains de ses "frères" ont été menacés s'ils parlaient à des journalistes étrangers. Il affirme que trois moines sont encore en prison et griffonne rapidement leurs noms : Jimai, Tselsen et Thunke. L'un d'entre eux aurait envoyé en vidéo aux Etats-Unis un petit film de l'émeute. A cinq heures de route plus au sud, la petite ville de Langmusi offre un spectacle fort différent : deux monastères se font face et surplombent la rue principale qui fait office de frontière entre les provinces du Gansu et du Sichuan. Les pensionnaires des deux communautés ne s'aiment guère : l'un d'eux, hostile aux Chinois, a manifesté en mars. L'autre, partisan de la modération, a tenu ses "troupes". Un moine du camp "modéré" commente son attitude après avoir discrètement entraîné le visiteur étranger dans sa cellule : "Que pouvons-nous faire face aux Chinois ? Manifester violemment ne sert à rien ! Il faut trouver la voie de la conciliation. Nous devons nous adapter." Il explique que le comportement belliqueux de ses "collègues" du monastère d'en face leur a valu la fermeture de l'école de philosophie et le renvoi sans appel de tous les moines âgés de moins de 18 ans. "Ceux qui restent sont soumis quotidiennement à des séances d'éducation patriotique au cours desquelles ils doivent renoncer à leur allégeance au dalaï-lama." "Chez nous aussi, il faut se plier aux enseignements donnés par ce que les Chinois appellent des "groupes de travail"", admet-il ; "les séances ont lieu tous les jours avant et après la pause déjeuner. Mais ce n'est pas très strict, et j'ai l'impression que tout le monde s'y plie de manière distraite, comme à une corvée..." Aba (Ngawa, en tibétain), quelques jours plus tard : depuis Langmusi, la route presque plate a sinué durant des heures dans un paysage enneigé de pâturages de haute altitude où les bergers à cheval poussent leurs yaks sur fond d'horizons perdus. Peu de circulation, espaces sans limites avec, parfois, le barrage de sacs de sable d'un point de contrôle des paramilitaires. Mais la tension semble bel et bien retombée : la plupart du temps, les guérites sont vides et, quand ce n'est pas le cas, le factionnaire laisse passer les voitures sans procéder au moindre contrôle. De tous les théâtres connus de la répression, Aba a été l'un des plus violents. Le 16 mars, des moines du monastère de Kirti, situé en pleine ville, ont organisé un défilé. Aux cris de "Vive le dalaï-lama !" et de "Rendez leurs droits aux Tibétains !", brandissant des drapeaux du Tibet indépendant frappés de deux lions des neiges, une foule de plusieurs milliers de personnes s'est dirigée vers le siège du gouvernement local. D'après les témoignages que nous avons été en mesure de recouper et qui émanent de moines, d'un laïc tibétain et de commerçants chinois han, la tragédie a éclaté devant le commissariat de police de la rue principale : attaqués par les manifestants qui s'en sont pris aux boutiques chinoises, les policiers ont tiré. Selon ces sources concordantes, au moins une douzaine de personnes ont été tuées à cet endroit. Dans l'immense monastère (2 500 moines) à l'architecture très "chinoise", qui recourbe ses toits aux encorbellements de pagode, un jeune religieux nous a raconté sa version dans le silence de sa cellule, après avoir suivi un chemin compliqué à travers les rues enneigées : "J'étais dans la foule au début de la manifestation, mais, rapidement, nos maîtres de disciplines ont dispersé certains d'entre nous. J'ai été obligé de refluer vers le monastère. Je n'ai pas vu comment les choses ont tourné en ville. Le soir, vers 4 ou 5 heures, j'ai vu des gens ramener 7 ou 8 cadavres. Certains avaient été hissés sur des motos, d'autres étaient portés par deux personnes. J'ai vu les impacts de balles sur les corps, dans la poitrine, au flanc. Je ne les ai pas reconnus, car on avait recouvert leurs visages. Je connais deux victimes. L'une avait 17 ans, c'était un lycéen." Le moine explique que, quelque temps après, une rafle en bonne et due forme a été organisée par la police. Après l'interpellation de plusieurs centaines de religieux, tout le monde a été rapidement relâché. Ailleurs en ville, un commerçant d'une quarantaine d'années affirme avoir été le témoin d'un incident mortel : "Là, dit-il en désignant le pont sur lequel il nous a entraînés, j'ai vu deux hommes être touchés aux jambes par les balles des soldats. Ils sont tombés. L'un d'eux continuait à crier des slogans. Il a finalement succombé sous les coups de fusil." Devant une tasse de thé tibétain au beurre de yack, le même homme dicte plus tard les noms d'autres victimes de la sanglante journée. L'une d'elles était son frère, dit-il. Il n'est pas possible, pour des raisons de sécurité, de citer le nom de ce dernier, mais le défunt était "un ancien milicien devenu partisan le plus fidèle du dalaï-lama". Ces différents témoignages permettent d'estimer à une fourchette située entre 8 et 20 le nombre de manifestants tués ce jour-là à Aba. Les médias officiels avaient confirmé l'émeute du mois de mars sans faire état de morts, mais en mentionnant "que 200 personnes avaient été blessées, 81 véhicules et 24 magasins incendiés". Le quotidien anglophone China Daily écrivait que, le 28 mars, après la fouille du monastère, les policiers avaient trouvé "30 fusils, 498 balles, 1 kg d'explosif et 33 sabres". L'article concluait en une ligne vengeresse : "Du matériel pornographique sous la forme de DVD a également été découvert." Il est quasi impossible de connaître le nombre de personnes encore emprisonnées dans la préfecture. De multiples condamnations ont été annoncées à la télévision locale, racontent des habitants. Un chauffeur tibétain soutient que les émeutes avaient à l'époque gagné les environs : son neveu, âgé de 30 ans, a participé à l'attaque de bâtiments officiels dans un canton voisin. Il a été condamné, le 28 juillet, à quinze ans de prison. "Nous, les Tibétains, n'avons que des pierres et des couteaux. Les Chinois ont des fusils", constate l'homme en faisant mine de se mettre un canon sur la tempe.
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