L'auteur est un ancien secrétaire supplémentaire dans le secrétariat de cabinet, le gouvernement d'Inde.
Mentionner le Bouddhisme tibétain, c’est faire apparaître des images de moines vêtus d'ocre chantant « Om mani padme Om » dans des monastères reculés. La réalité est bien différente.
Au delà de ces apparences, la hiérarchie religieuse du Bouddhisme tibétain est déchirée par la rivalité entre diverses sectes rivalisant chacune pour le pouvoir. Dans ce contexte, la réclamation d'Ughen Thinley Dorje sur son ancienneté ( c’est l’un des prétendants au titre de 17 ème Gyalwa Karmapa de la secte Kagyu ) est prépondérante. La rivalité s'intensifie, car tous se bousculent pour se placer dans la succession future du 14ème Dalaï-lama.
Le mouvement du Bouddhisme international, manipulé par la Chine est maintenant entraîné dans cette concurrence. C’est une lutte très sérieuse pour le leadership entre le gouvernement communiste de la république populaire de Chine et le personnage au rang le plus haut du Bouddhisme tibétain : le Dalaï-lama. Le résultat affectera non seulement l'avenir du Dalaï-lama et celui de la diaspora des réfugiés tibétains, mais impactera aussi l'espace culturel de l'Inde. Après des décennies de patientes manoeuvres, la Chine a amorcé la phase finale pour contraindre le Tibet à se soumettre, et éliminer toute opposition par la nomination d’un Dalaï-lama à sa botte. La Chine a donné une nouvelle impulsion et étendu ses efforts systématiques de sape de la position prééminente de l’actuel Dalaï-lama et de son prestige dans la hiérarchie du Bouddhisme tibétain, de manière à réduire son influence parmi les tibétains à l'intérieur de la Chine et à limiter son réseau d'appuis internationaux .
Au cours des trois décennies passées, l’actuel Dalaï-Lama a présenté de façon non-violente la cause du Tibet et son peuple dans des forums internationaux et des capitales étrangères. Il est efficacement devenu 'le visage' du Bouddhisme pour le monde. Il a créé la conscience du problème tibétain et sollicité les appui matériels et diplomatiques, pour exercer une pression sur Beijing en tenant tête à La Chine.
Pour faire diversion à la pression internationale, le gouvernement communiste chinois a entamé des négociations avec lui. Après avoir décidé de le séduire en l’invitant en Chine puis en le laissant tomber, puis, dans l'intention de réduire ses demandes par l'usure, dans des négociations prolongées. La politique de la Chine a été d'attendre la fin du Dalaï-lama. Un chinois tibétologue a calculé que les Dalaï-lama ne vivaient pas en moyenne au-delà de 45 ans, il s’est bien trompé dans le cas de l’actuel Dalaï Lama ! La Chine a prévu que cette opposition s'effacerait quand les tibétains auraient perdu leur leader, et que, comme dans le cas du Panchen Lama, Beijing en choisissant le Dalaï-lama suivant résoudrait ainsi le problème tibétain .
Le gouvernement communiste chinois s'est aussi décidé, dans ses efforts pour apaiser le mécontentement populaire consécutif aux réformes économiques, à assouplir les restrictions sur l'adoration religieuse. Et à partir de 2006, a prudemment commencé à décrire le Bouddhisme comme une religion chinoise très ancienne et non-violente. Cette reconnaissance officielle du Bouddhisme, a été calculée, car elle permettra plus tard de donner une légitimité à la réclamation de Beijing de reconnaître le Dalaï-lama suivant. Le 50ème anniversaire du soulèvement dans Lhasa et l’exil du Dalaï-Lama du Tibet ont marqué le lancement d'une campagne intensifiée contre le Dalaï-lama pour démontrer que sa popularité était en baisse. Le gouvernement de Pékin a déclenché une propagande sur tous les fronts et une offensive diplomatique. La richesse de la Chine, en ce moment de crise économique internationale, a aidé à renforcer la campagne.
Un très grand nombre d’agents de sécurité armés ont été déployés partout dans le Tibet et des mesures de sécurité rigoureuses mises en oeuvre pour supprimer toute protestation. Il y a eu seulement des déclenchements de protestations mineures dans des petites villes, tandis que Lhasa est resté paisible. Sur le front diplomatique, la direction du Parti communiste chinois a, pour la première fois, envoyé une délégation de Bouddhistes tibétains, menés par le ' Bouddha vivant ' de la secte Kagyu, en Europe pour 'expliquer' à sa manière la question aux représentants des administrations européennes et du parlement.
En avril, le G20 en convoquant Beijing a permis indirectement une réunion entre le président chinois Hu Jintao et le président français Nicolas Sarkozy, en obligeant ce dirigeant français à clarifier sa position sur le Tibet.
La France, par les déclarations de son président, a capitulé, et a assuré qu'elle ne soutiendrait pas l'indépendance du Tibet sous aucune forme. Plus tôt, en octobre dernier, la Grande-Bretagne avait révisé sa position vieille de 94 ans sur le Tibet en, prétendant que le concept de souveraineté du Tibet était périmé, et l’avait déclaré comme étant une partie de la Chine. Ces succès diplomatiques de Pékin ont eu un impact sur la campagne du Dalaï-lama.
La Chine a aussi décidé d'étendre et d’ internationaliser sa campagne contre le Dalaï-lama pour légitimer sa prétention à tenir un rôle de leadership dans le mouvement Bouddhiste. Cette stratégie a débuté au premier Forum du Bouddhisme Mondial de 2006. Le Panchen Lama nommé par les chinois a obtenu une renommée internationale.
Trois ans plus tard, le deuxième Forum Bouddhiste Mondial convoqué à Wuxi, Jiangsu il y a deux mois, a été suivi par plus de mille personnalités religieuses incluant les responsables des différentes mouvements Bouddhistes.
Le Dalaï-lama a été de nouveau exclu, mais cette fois étiqueté comme un « élément perturbateur ».
Les fidèles représentants de Shugden Dieiy, opposés au Dalaï-lama, ont été invités. Par son message d'adieu au forum, le 11ème Lama Panchen nommé par les chinois comme le Lama du Bouddhisme tibétain , au deuxième rang dans la hiérarchie, a cherché à renforcer son aura.
(NDLR : Shugden deity, la déité Shugden. Il s'agit de Dorje Shugden, dont la pratique a été "interdite" par le Dalai-lama il y a une vingtaine d'années, et qui du coup est encouragée par la Chine. En Inde, et en particulier à Sera Mey, il y a beaucoup de pratiquants. Ils ont créé une association très puissante et qui se propage dans le monde entier, Dorje Shugden Society. Encore une lutte intestine terrible au sein du bouddhisme tibétain.)
Ce forum a été une victoire majeure pour une raison supplémentaire. Sa session finale a été tenue à Taïwan, avec lequel les relations de la Chine ont commencé à se réchauffer rapidement. Taïwan est devenu un organisateur commun de l'événement, soutenant indirectement la réclamation de la Chine dans la direction de n'importe quel mouvement Bouddhiste international.
En plus du partage d'une vue commune sur la question de frontière, y compris des frontières discutées avec l'Inde, les deux entités partagent maintenant un point de vue commun sur le Bouddhisme, particulièrement tibétain et le rôle de la Chine.