GIVE PEACE A CHANCE
Noël Imbert-Bouchard
Le Tibet et la Chine : une longue histoire commune complexe
Savoir si le Tibet appartient à La Chine ou non, est un débat qui n’a guère de sens au regard de l’histoire complexe de leurs relations. On pourrait aussi bien soutenir que c’est la Chine qui appartient au Tibet. Car avant le 10ème siècle, les Tibétains se rendirent maîtres progressivement de la Chine. Ils envahirent même Xian la capitale de la dynastie Tang. Leur empire s’étendait alors du Népal au bassin du Trim, de la vallée de l’Indus aux plaines du Sechuan. Mais au 13ème siècle, Gengis Khan mit sous sa coupe l’Asie entière, soumit la Chine, anéantit Pékin, razzia le Tibet. Le pouvoir mongol s’imposa au Dalaï Lama. Puis, c’est l’empereur mandchou qui exerça à nouveau un tutorat, annexant des provinces comme le Kham et l’Amdo. Ce n’est qu’en 1934, que la Chine fit admettre sa suzeraineté sur le Tibet (en échange du retour du Kham et l’Amdo – promesse qui ne sera jamais tenue). L’ambigüité subsista jusqu'à l’arrivée de Mao au pouvoir, et l’invasion par l’armée chinoise, le 6 octobre 1950. Pendant quinze ans, les résistants tibétains Khampas, redoutables guerriers, allaient tenir tête à la plus grande armée du monde ; la harcelant puis s’évanouissant sur des chemins connus d’eux seuls sur des plateaux glacés à 5000 mètres d’altitude. Attisée par cette guérilla, la révolte devint généralisée au Tibet. Le pouvoir maoïste exprima son énervement dans le style inimitable qui était le sien, qualifiant ces combattants armés de pétoires «de barbares, sous la conduite d’éléments réactionnaires de la bourgeoisie propriétaire des serfs, en collusion avec les chiens couchants de l’impérialisme occidental, faisant obstruction à l’introduction des réformes salutaires ».
[1]Fin 1958, la résistance tibétaine s’était rendue maître des deux tiers du territoire tibétain, sous la conduite de chefs légendaires comme Ani Panchen, nonne et combattante. Les Indiens et les Américains soutinrent un temps ce combat (un camp d’entraînement fut même crée par la CIA pour ces guérilleros au Colorado) Puis le vent tourna définitivement, et les tibétains furent abandonnés à leur sort, sous les influences conjuguées de la diplomatie internationale ménageant désormais la Chine, de la disproportion des forces militaires en présence et de la volonté absolue de non- violence du Dalaï Lama. Ce sont pourtant ces mêmes guerriers Khampas qui escortèrent le Dalaï Lama et protégèrent sa fuite en Inde : la confrontation entre ces résistants qui allaient mourir les armes à la main et leur chef spirituel pacifiste, qui leur doit pourtant la vie grâce à ce combat qu’il réprouvait, est un des moments poignants de l’histoire du Tibet moderne.
La colonisation d’un peuple martyr
La Chine occupe militairement le Tibet depuis 1950.Une raison majeure relevée par la commission sénatoriale française sur le Tibet saute aux yeux : le grand Tibet historique représente 43 % du territoire chinois et les Tibétains (5 millions seulement) soit 0,4% de la population chinoise. Les chinois Han sont aujourd’hui plus nombreux à Lhassa que les tibétains. D’autres raisons s’ajoutent à ce besoin expansionniste. Pour son malheur, la géographie a bien servi le Tibet ( richesse des matières premières et des minerais rares, réservoir d’eau mondial où naissent tous les grands fleuves d’Asie, balcon géostratégique sur l’Inde ).Le paroxysme de cette colonisation du Tibet fut atteint sous la révolution culturelle qu’on a pu qualifier à juste titre de génocidaire, et dont le pouvoir chinois actuel, peu porté sur l’autocritique, condamne les excès (5000 monastères ont été détruits, soit la quasi-totalité d’entre eux, les objets cultuels en or ? fondus, les bibliothèques qui contenaient des manuscrits du 12ème siècle et des incunables ? brûlées, la pratique de la langue tibétaine ? Interdite, la délation des parents ? imposée aux enfants, la rééducation politique des religieux ? rendue obligatoire). Puis la répression, variable d’intensité suivant les époques resta relativement constante et sanglante : on estime le nombre de victimes à un million, peut être plus
[2].
Pendant cette période, la Chine a défriché totalement le pays qui abritait l’une des plus grandes forêts endémique d’Asie, a pollué lacs et rivières. Elle a décimé entièrement la faune, ce « jardin zoologique naturel » où abondaient ours, gazelles, antilopes, daims (les chinois tuant par plaisir des animaux que les tribus nomades prélevaient avec parcimonie). La Chine y stocke des déchets nucléaires dans des conditions critiques.
Mais la Chine a aussi investi économiquement au Tibet, dans les transports, l’énergie l’éducation, la santé, les télécommunications. Même modeste (il est encore la moitie de celui des chinois)
[3] le niveau de vie des tibétains progresse régulièrement. Mais ce développement matériel bénéfique se fait sans égards pour la civilisation tibétaine dont l’environnement naturel et culturel est dévasté. Les droits élémentaires de pensée, de déplacement, de réunion continuent d’être déniés. La pratique religieuse et les vocations monastiques sont étroitement contrôlées, le contrôle policier sur les Tibétains reste omniprésent. L’insubordination (être surpris avec une photo du Dalaï Lama ou du drapeau tibétain) se paye de la prison, parfois à vie, dans des conditions de détention terribles. Cette répression accompagne une acculturation qui est tolérée ou encouragée par les autorités chinoises. L’alcool, la télévision le karaoké, sont des instruments de séduction des jeunes tibétains. Il y malheureusement plus de bordels pour soldats chinois, peuplés de jeunes filles tibétaines, à Lhassa, que d’écoles. Une forme d’aliénation efficace consiste, sous un abord permissif, à folkloriser les pratiques religieuses des tibétains : attractions pour touristes chinois et occidentaux friands d’ésotérisme à bon marché. Si nécessaire, en faisant reconstruire par l’armée quelques monastères détruits...par l’armée. La prochaine étape sera sans doute le recrutement de soldats de l’armée rouge comme moines figurants dans un « Puy du Fou asiatique » ou la projection d’un « son et lumières » sur le Potala faisant revivre les grandes figures spirituelles du passé. A Shanghai un guide interprète chinois, agacé par mes questions, m’a déclaré « on ne comprend pas votre intérêt pour les tibétains. Ces gens là sont des ignorants rétrogrades. Ils ont un folklore drôle mais il faut les éduquer ».
Malgré cette pédagogie du bâton, depuis bientôt 60 ans, la résistance opiniâtre et pacifique des tibétains se poursuit.
Pourquoi de la part du régime chinois une telle rage de détruire que n’imposent pas les nécessités de la colonisation ?
Pourquoi les Tibétains manifestent-ils un tel acharnement et une telle opiniâtreté inflexible à résister à cette destruction programmée ?
Répondre à une question c’est répondre à l’autre : elles sont les deux faces d’une même incompréhension radicale de deux systèmes de pensée qui ne peuvent coexister.
Le Tibet, terre du bouddha omniscient
Jusqu’à l’aube du 20ème siècle, le Tibet a été un pays féodal que se partageaient de grands propriétaires terriens, des seigneurs de la guerre et des familles aristocratiques souvent corrompues (organisant notamment de réincarnations plus ou moins téléguidées politiquement).La rudesse du climat n’avait parfois rien à envier à celles des mœurs, la compassion n’étant pas toujours la vertu la mieux partagée (l’esclavage y était monnaie courante). Le pouvoir chinois actuel se plaît d’ailleurs à rappeler qu’une justification de sa présence est l’éradication de cet obscurantisme moyenâgeux dont le Dalaï Lama, à la fois chef temporel et spirituel, a été le symbole vivant pendant des générations.
Pays féodal
[4], le Tibet était aussi un pays paradoxal. Car, après qu’il ait disparu d’Inde et de Chine, le Tibet est devenu pour le bouddhisme un conservatoire vivant. Dans ces montagnes depuis le 7ème siècle, s’est forgée progressivement une civilisation totalement originale par sa langue, son art pictural, sa musique. Elle a éclos au sein d’une société religieuse à la fois érémitique et monastique. Car aux luttes incessantes des pouvoirs civils entre eux, répondait la puissance des monastères (le pays en compta jusqu’à 50. 000). Riches (de par leurs terres) organisés (fonctionnant en réseau réactif sur tout le pays), ils constituèrent la colonne vertébrale économique, intellectuelle et spirituelle du Tibet pendant des siècles. Et il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui encore, ils soient l’objet, bien que réduits à portion congrue, de la méfiance permanente du pouvoir chinois. Car c’est de là que sont parties et que continuent de partir toutes les contestations aux régimes en place. Parallèlement au monachisme, l’érémitisme était très répandue, et des milliers de retraitants, choisissaient la solitude dont ont émergé les grandes figures spirituelles de Padmashambava, de Dampa Sangye, de Marpa, de Milarepa. Cette intense spiritualité organisée à l’échelle d’une société toute entière (assez comparable à celle du haut Moyen âge occidental en Europe) exerçait une fascination tant sur la Chine que sur l’Inde. Aussi Le Tibet a-t-il toujours exercé un leadership spirituel, y compris sur ses vainqueurs militaires, chinois ou mongols. Si les regards de l’Asie se sont toujours tournés vers l’Empire Céleste, centre du pouvoir temporel, ils se tournaient également vers le Tibet considéré comme un centre majeur du pouvoir spirituel. A la cour de Kubilaï Khan, l’empereur s’inclinait devant le lama tibétain qui était son maître spirituel et qui siégeait sur un trône plus haut que le sien. Le troisième Karmapa se rendit plusieurs fois en Chine où il présida les cérémonies de couronnement de l’empereur qui lui conféra le titre de « bouddha omniscient ». Cette relation de tutorat spirituel allait lier les lamas tibétains aux empereurs mongols et mandchous jusqu’en 1911.C’est en alléguant de cette étroite relation que les communistes chinois allait justifier leur mainmise sur le Tibet. C’est aussi sans doute les raisons pour lesquelles le jeune Dalaï Lama actuel fut longtemps sans méfiance excessive vis-à-vis de Mao Tse Toung, car la sujétion politique relativement distendue qu’exerçait la Chine jusque là sur le Tibet avait comme corollaire historique une forte prééminence spirituelle qui équilibrait les rapports. Jusqu’à ce que Mao exprime clairement que « la religion était un poison » qu’il fallait extirper à tout prix des cœurs et des esprits. Dés lors le Dalaï Lama était un ennemi que tôt ou tard il aurait fallu détruire.
Le pays de la résistance spirituelle
Le bouddhisme tibétain est ancré dans une tradition faite de recherche personnelle, de débat philosophique et de pratique dialectique. Ce souchage remonte au grand débat du monastère de Samye en 796, créé par Padmashambava qui est le fondateur de la lignée Nyingmapa (les bonnets rouges). Pendant deux ans, les tenants d’un bouddhisme chinois imprégné de taoïsme mystique s’opposèrent à un bouddhisme indien plus analytique qui finalement l’emporta. Cette pratique de la dialectique et de la maïeutique, semblable à celle pratiquée dans les écoles de sagesse socratiques, constitue une trame de la formation bouddhiste tibétaine. L’art du débat et de la controverse est un élément constitutif aujourd’hui encore de la formation de jeunes moines. Le vajrayana (particulièrement l’école Gelougpa) a développé par ailleurs de manière considérable, un goût de l’exégèse et des textes sacrés. Cette aptitude à l’herméneutique aiguise le jugement critique et permet l’éveil et le développement des intelligences. On retrouve cette propension au commentaire critique dans le judaïsme. Comme dans le bouddhisme tibétain, les ouvrages de commentaires juifs sont plus importants en volume que les textes sacrés eux-mêmes. Bien des aspects intellectuels rapprochent ces deux sociétés marquées par l’exode et la diaspora, et il n’est pas étonnant que les juifs, experts en survie collective, soient consultés avec intérêt par le Dalai Lama
[5].
La société tibétaine est par ailleurs resserrée autour de leaders et de maîtres spirituels. Les maîtres sont des guides de conscience prônant la réflexion personnelle et la recherche intérieure. Car chaque bouddhiste doit éprouver le monde par son expérience propre, être maître de son cheminement, éprouver une sorte de doute méthodique cartésien, y compris contre l’enseignement du maître lui-même s’il va à l’encontre de l’intime conviction et de l’expérience. Ce pragmatisme est caractéristique de cette recherche de la vérité, y compris sur le sujets les plus scientifiques ou techniques, autorisant l’imagerie médicale de la méditation
[6] Chaque être portant en lui la nature de bouddha. C’est par l’introspection, la méditation, la ritualisation symbolique, la projection mentale qu’il peut aller vers l’Eveil, sous la conduite d’un guide (Maître spirituel, Karmapa, Dalaï lama) Cette démarche valorise des concepts comme l’interdépendance, l’impermanence et la tolérance qui font que toute vérité terrestre n’est que relative. De plus, le grand véhicule de diamant (la forme tibétaine du Mahayana) est un ésotérisme complexe (hérité du tantrisme indien) qui ne se dévoile qu’aux seuls initiés.
Ces valeurs privilégient l’être spirituel sur l’avoir matériel. Sans cette liberté d’être, l’âme tibétaine meurt. Cette spiritualité individuelle est incompatible avec un contrôle collectif des esprits. Ses valeurs s’accordent mal avec celles qui ont été prônées tant par le communisme que le capitalisme : prééminence de la technologie, de la réussite économique. Car chaque individu, potentiellement, possède les capacités d’Eveil, et a la nature de Bouddha en lui. Un célèbre précepte bouddhiste édicte « si tu rencontres Bouddha dans la rue, tue-le ! » car seule l’expérience personnelle importe. Cette liberté de conscience, ne peut être contrôlée facilement par aucun commissaire politique. Comment extirper les racines de cet invraisemblable « déviationnisme petit bourgeois » autrement que par la répression idéologique et policière ? En nommant, dans chaque monastère, des commissaires politiques, dans chaque village, des délateurs familiaux, dans chaque rue, des patrouilles de contrôle. (Ces dernières semaines, 3000 soldats ont été envoyés pour surveiller un monastère de 300 moines !) En interdisant ou décourageant la pratique de la langue, de la culture, de la religion. En faisant décider par le parti communiste seul, des opportunités de réincarnation des Tulkous (Lénine doit se retourner dans sa châsse en attendant lui aussi d’être réincarné par le comité central !) Enfin pouvoir tuer l’Esprit qui résiste et se débat depuis cinquante ans comme un agonisant qui refuse de mourir ? Comment le régime chinois pourrait- il accepter une société qui globalement prône des vertus « rétrogrades » si éloignées du matérialisme ? Le bouddhisme tibétain ayant beaucoup emprunté au taoïsme, on aurait pu penser qu’une synthèse était possible. Mais c’est surtout au confucianisme que le régime communiste a emprunté ses racines autoritaristes, et il a du mal à concevoir une société dont le contrôle ne soit pas pyramidal. A tel point que le régime chinois ne peut que soupçonner de duplicité les régimes occidentaux qui tolèrent des manifestations, des écrits, des caricatures chinoises, car les bases même d’une vie civile non étatisée lui est totalement inconnue. Le régime chinois a réussi le curieux mariage de la carpe asiatique et du lapin occidental, en exerçant une main mise nationaliste dictatoriale totale sur les esprits et la société tout en favorisant le développement exacerbé d’une société capitaliste dans laquelle la recherche du profit devient le seul critère de la réussite individuelle et collective. N’en déplaise aux tergiversateurs occidentaux, cette captation par l’état de la société civile et cette collectivisation de l’intime individuel correspond à la définition qu’Herbert Marcuse a donnée du fascisme. Et au fond chacun de nous le sait, comme nous le savions à Berlin en 36. Car comment ne pas être tétanisé d’effroi devant ces parades préolympiques martiales et figées, sorte de mauvais péplum chinois d’un Nuremberg asiatique ? Et cette grotesque ascension d’une flamme olympique dans un Everest militarisé, cadenassé ? Comment peut-on encore parler de progrès visible, de dialogue possible, lorsqu’on abat 2500 personnes par an, condamnés à mort d’une balle dans la tête ? Lorsque tous les jours on martyrise non seulement des tibétains mais qu’on réprime des musulmans ou des catholiques de l’église de l’ombre qui doivent se cacher pour prier ensemble ? Lorsqu’on réprime durement le mouvement Falun Gong d’inspiration bouddhiste ou qu’on interdit la franc-maçonnerie ? Lorsque le Dharma (doctrine du bouddha) est considéré en Chine continentale, malgré la liberté de culte purement formelle, comme le reliquat d’une Chine arriérée qu’il convient de déconsidérer ? Notre coupable silence, ne vient sans doute pas des quelques contrats commerciaux faramineux accordés à nos multinationales (d’ailleurs l’Allemagne ou les Etats-Unis qui ont au moins autant d’intérêts commerciaux que nous ne baissent pas pavillon sur cette question). Notre coupable silence vient sans doute plus, de la fascination secrète exercée par ailleurs sur nos esprits, par le déploiement de vitalité de la société chinoise, par ces gratte ciels en construction partout dans le pays, par ces défilés de mode ultramodernes à Shanghai et Pékin, par cette liberté d’entreprendre, par cette énergie de pionniers que notre société peu à peu a perdue, car elle sait désormais que les courbes de croissance ne montent pas au ciel. Sans doute, est-ce moins la puissance grandissante de la Chine que nous envions, que la nostalgie et la secrète envie que nous éprouvons face à un nouveau monde en construction .On sent bien que derrière la jeunesse de cette société bouillonnante en construction c’est un peu l’avenir du monde qui se joue.
Quel avenir pour le Tibet ?
Au moment où l’Occident matérialiste, lassé de ses propres excès qui le détruisent, découvre l’héritage tibétain comme une fontaine de jouvence retrouvée, la Chine moderne, voit dans celui-ci une forme d’arriération mentale et un obstacle au progrès. Le régime chinois s’accorde mieux des velléités autonomistes des autres territoires de la Chine, de Hong Kong, de Macao, voire même de Taïwan que du Tibet. Car l’esprit ne peut avoir deux maîtres. Les deux formes de pensée sont vécues de manière antagoniste. Contrôle des esprits et matérialisme d’un côté jugés nécessaires au bien collectif, liberté intérieure et idéalisme de l’autre, conditions indispensables à l’Eveil. Si le triomphe d’une forme de pensée est vécu comme la condition de disparition de l’autre, toute perspective d’accord est bouchée, toute négociation devient un simulacre : c’est le cas depuis 10 ans entre les émissaires du Dalaï Lama et le pouvoir chinois et il est à craindre que cela ne continue. Mais il faut essayer, essayer encore et toujours.
Le Tibet mythique et féodal a vécu. Celui de demain que le Dalaï Lama tente de préfigurer à Dharamsala conciliera la modernité et la spiritualité. Mais la Chine de demain, aussi, sera différente. Une fois passée l’époque du nationalisme exacerbé, et la fierté de la puissance et de la gloire retrouvées, la Chine va se remettre en question. De nombreuses voix d’intellectuels chinois commencent à se faire entendre. Le développement économique durable, dont elle va avoir l’impérieux besoin, ne peut se faire sans développement démocratique. Elle devra apprendre à ne plus savoir peur de la liberté. Il n’est pas possible durablement de s’ouvrir au monde occidental par les échanges, Internet, la télévision, le tourisme, sans être contaminé par le virus de la liberté. Le temps de celle-ci viendra. Et celui du Tibet ... si quelque chose du Tibet est encore à sauver… Il ne faut pas que cela soit trop tard pour le Tibet, la Chine, et le reste de l’humanité
Car le Tibet n’est pas une affaire intérieure chinoise. D’abord parce que les tibétains sont désormais partout dans le monde ou ils ont déployés leurs drapeaux de prière. Les peuples de l’exil appartiennent à tous les pays. Ensuite, parce que cette civilisation, préservée par son isolement géographique nous est parvenue quasiment intacte au 20ème siècle comme un trésor spirituel que nous ont légués les siècles passés. Elle appartient au patrimoine immatériel mondial de l’humanité. Nous sommes tous redevables de sa préservation.
Même les montagnes bougent. Notre génération a vu s’écrouler le mur de Berlin. Peut être aura-t-elle la chance de voir s’effondrer le mur des préjugés qui sépare les Chinois des Tibétains et les isole du reste du monde démocratique. Il n’est pas impossible qu’un jour, l’un des vœux les plus chers du Dalaï Lama se réalise : donner à Pékin place Tien Anmen, l’initiation de Kalachakra, le « tantra de l’insurpassable union » dédié à la paix dans le monde.
[7]
Que pourrait-on dire, en cette date anniversaire de 68, d’autre que « give peace a chance ? »
Noël Imbert-Bouchard
noelib@orange.fr
23 mai 2008
[1] « Tibet les chevaux du vent » Jérôme Edou René Vernadet. L’Asiathèque
[2] Au total, en cinquante ans, d’après Jérôme Edou et René Vernadet (ibid. cité) 150 000 tibétains furent tués, 175 000 moururent en prison, 160 000 furent exécutés, 400 000 moururent de faim- à la suite de la collectivisation des terres alors que la famine était inconnue au Tibet- 90 000 périrent sous la torture et 10 000 se suicidèrent.
[3] Rapport de la mission parlementaire sénatoriale -Quelle solution politique pour le Tibet ? 2006
[4] « L’épopée des Tibétains » Frédéric Lenoir et Laurent Deshayes. Fayard
[5] « Le juif dans le lotus : des rabbins chez le Dalaï Lama ».Lewis Bernard. Calman Levy
[6] Les conférences Mind & Life commencèrent il y a 13 ans. En 1987, à l’initiative de
Francisco Varela,
Matthieu Ricard et
Adam Engle. Le Dalaï Lama reçut dans son salon de Dharamsala un panel international de chercheurs en sciences cognitives. Son but : s’informer sur l’état des dernières recherches occidentales et amorcer un dialogue entre la neuroscience et le bouddhisme
[7] Cité par Alain Grosrey « Le grand livre du bouddhisme » Albin Michel